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Libération
Récit d'audience

Pierre Palmade condamné à cinq ans de prison dont deux ferme

Procès de Pierre Palmadedossier
Après un feuilleton judiciaire mêlant drame routier et toxicomanie qui a défrayé la chronique pendant près de deux ans, le tribunal a condamné, mercredi 20 novembre, l’humoriste à cinq ans de prison dont deux ferme.
Pierre Palmade au palais de justice de Melun, ce mercredi 20 novembre 2024. (Albert Facelly/Libération)
publié le 20 novembre 2024 à 14h23
(mis à jour le 21 novembre 2024 à 7h11)

Apparemment, il est là. Ce mercredi 20 novembre, il est 7 h 50 quand des photographes commencent à s’agiter au flash autour d’un van aux vitres teintées immatriculé 75 qui rentre à l’arrière du tribunal correctionnel de Melun, en Seine-et-Marne. L’un d’eux dit qu’il a vu la tête de l’humoriste. Enfin, pas vu. Deviné sa tête, plutôt. Enfin, pas tout à fait sa tête, non plus, juste une mèche de cheveux ébouriffée…

Ainsi s’ouvre le procès de Pierre Palmade. Plus d’un an et demi après l’accident de la route qui défraya la chronique, le comédien comparaît pour blessures involontaires sous l’emprise de stupéfiants. Déjà condamné en 2019 pour consommation de drogues, il encourait jusqu’à quatorze années d’emprisonnement et 200 000 euros d’amende. Il écopera de cinq ans de prison dont deux ferme.

En préambule, le président appelle le prévenu à la barre. A 56 ans, le voici donc, les cheveux brun foncé, la mine pâle, défaite. Il décline son identité, ses premiers mots en public depuis le début de l’affaire : «Je suis Pierre Palmade, je suis né le 23 mars 1968», dit-il seulement, d’une voix haute, légèrement éraillée, reconnaissable entre toutes.

La juge d’instruction n’a pas retenu le chef d’homicide involontaire pour la mort du fœtus de six mois que portait la passagère de la voiture violemment percutée par le comique. Me Mourad Battikh, l’avocat de la famille des victimes, dénonce une décision «absurde» reposant sur une jurisprudence de la Cour de cassation de 2001, qui ne reconnaît pas l’existence juridique de l’enfant à naître.

«Le droit français protège mieux les animaux que l’enfant à naître, souligne l’avocat, qui dit vouloir faire évoluer le statut de l’enfant à naître. L’enfant a été enterrée, une sépulture a été dressée et pourtant, au vu du droit, elle n’est rien.» Lors de ses différentes auditions, Palmade a reconnu sa responsabilité dans la mort du «bébé» de la victime accidentée. «Si ces déclarations sont sincères, considère l’avocat, il acceptera la comparution volontaire» pour «l’homicide» de l’enfant à naître.

Trop tard, souligne Me Céline Lasek, l’avocate de Pierre Palmade : une ordonnance de non-lieu, on ne va pas revenir en arrière. «On ne peut pas faire des exceptions juridiques.» Déduction du président : Palmade ne souhaite donc pas comparaître volontairement. «Je vous demande de ne pas lui poser la question, recadre-t-elle. Lui était d’accord, moi, je m’y oppose.» Voyons cela. «Monsieur Palmade, approchez-vous de la barre.» Accepte-t-il de comparaître volontairement ? «Euh… non.»

«Ma vie d’avant, c’est comme un rêve»

Ce préambule établi, le président revient sur les détails de l’accident. Les victimes se succèdent à la barre pour décrire les blessures, les séquelles et les traumatismes. Le père de famille grièvement touché dans l’accident, Yuksel Yakut, 39 ans, se lève, boite jusqu’à la barre, en s’aidant d’une béquille, visage fermé. «Je travaillais, j’avais des amis, je gagnais de l’argent, je travaillais avec mon équipe, j’essayais de profiter avec ma famille, de faire des activités, de jouer au foot avec mes enfants… Mais aujourd’hui, je ne peux plus faire ce genre de choses, énumère-t-il. Ma vie d’avant, c’est comme un rêve.» Son fils, 6 ans au moment de l’accident et dont le pronostic vital était engagé, a redoublé sa classe. Pour lui aussi, la vie a changé : «Il n’a pas de problème quand il marche, mais c’est quand il parle…»

Sa belle-sœur se présente maintenant à la barre. Sa voix se brise en évoquant la perte de son bébé et la grossesse qui a suivi l’accident – aujourd’hui, cet enfant-là a deux mois. «Je n’ai pas pu m’attacher à mon enfant pendant la grossesse, de peur de la perdre.» Elle souhaitait depuis longtemps fonder une famille, l’accident a failli tout remettre en cause : «Je ne me sentais plus capable, je ne croyais plus à l’avenir.»

Une dernière victime se tient maintenant à la barre : Michel, 87 ans, le conducteur de la Twingo qui roulait derrière la famille percutée par la Peugeot 3008 de Pierre Palmade. En plus des séquelles, il a quelque chose à ajouter : «C’est incroyable le harcèlement médiatique, parce que c’est monsieur Palmade. Ce serait monsieur Tartempion, on n’en parlerait pas.»

Pendant la pause, les journalistes n’osent pas sortir du tribunal, de peur de perdre leur place. Dans la salle des pas perdus, ils enchaînent les duplex ou comparent leur pourcentage de batterie restant. En attendant la reprise, trois d’entre eux se tiennent devant la salle d’audience et trempent des sashimis dans du wasabi. «Quelqu’un veut des nems ?» demande une autre. La machine à café ne prend que la monnaie. A la reprise, les photographes sont autorisés à entrer pour shooter Pierre Palmade, qui a l’air sonné, hagard. Cinq minutes, c’est long, sous le crépitement des appareils, en attendant que cela s’arrête. Un vieux loup de la presse locale balaye la salle du regard. «L’anomalie, c’est nous, résume-t-il. C’est ça qui est bizarre.» Ou c’est l’effet Palmade.

«Comme des zombies, nus, ensanglantés»

En début d’après-midi, le président reprend le fil des événements qui ont précédé l’accident. Il raconte la drogue, les escorts, le chemsex, les injections de 3MMC, cette drogue de synthèse, en intraveineuse, les seringues achetées à la pharmacie du coin, les traces de sang dans les chambres, et cite le contenu des auditions avec une emphase théâtrale qui sonne un peu faux. «Pierre Palmade, approchez-vous de la barre». A-t-il quelque chose à dire spontanément ? «Aujourd’hui, je suis juste terrassé de voir les victimes, c’est un moment que je redoutais, commence-t-il. J’aimerais me retourner et leur demander pardon, mais je crois qu’ils ne veulent pas.» Après en avoir demandé la permission, il se retourne. «J’aimerais vous demander pardon du plus profond de mon être.» Il a une main sur le ventre.

Deux ans que tout le monde parle de lui, maintenant, c’est à son tour de parler. Le 8 février, il commence à consommer, à Paris, puis décide de continuer ailleurs. «J’en ai marre d’être chez moi. C’est crade. Il y a du sang partout. Allons dans ma maison de campagne.» Il interrompt son récit : «Je continue ?» Il continue.

Dans sa résidence secondaire de Cély-en-Bière, en Seine-et-Marne, ils poursuivent ce qu’aujourd’hui, il n’ose plus appeler la fête. «C’est l’enfer, on est comme des zombies, on est nus, ensanglantés.» Le 10 février 2023, vers 18h30, après avoir passé trois jours à se droguer, il prend la voiture pour aller tirer de l’argent et faire quelques courses. «La 3MMC a tendance à rendre apathique, dit-il. En prenant trois ou quatre lignes de cocaïne, je me dis que ça va me réveiller.» Puis, il se souvient avoir quitté sa maison. «Après, c’est le noir, dit-il. Je me réveille au Kremlin-Bicêtre. Je ne me souviens de rien, ni de l’accident, ni du sauvetage. Je comprends rien du tout, je mets deux jours à comprendre que c’est vrai. Je comprends que je suis en enfer.»

«La dépendance, malheureusement, c’est pas un choix»

Le président peine à comprendre : pourquoi a-t-il pris le volant ? «L’urgence et la notion de prudence s’effacent complètement, dit-il. Je suis le premier à trouver ce mec-là inconscient.» Le Carrefour n’était pas loin.

Je suis quelqu’un de prudent en voiture à cause de la mort de mon père…

Monsieur Palmade, le coupe le président. Treize excès de vitesse en dix ans.

L’avocat des parties civiles l’interroge sur sa sortie en boîte de nuit, le 25 juin 2023, quatre mois après le drame. «Je comprends que ce soit indécent, scandaleux, c’est la maladie.» Ce qui n’abolit pas son discernement, reprend l’avocat. «Non, c’est pas un choix monsieur, la dépendance, c’est pas un choix, malheureusement, c’est pas un choix.»

Il a découvert la drogue à la fin des années 1980, alors qu’il avait du mal à assumer son homosexualité. «J’ai trouvé que c’était un médicament, avant de devenir un poison, qui me guérissait du malaise d’être homosexuel.» Ont suivi des décennies d’addiction, l’échec des cures, la bascule de la découverte de la 3MMC, le chemsex… Jusqu’au soir de l’accident. «J’aurai toujours ce bébé sur la conscience.»

Citée comme témoin, sa sœur Hélène évoque sa volonté de se soigner. «Il a retrouvé sa vie et moi, j’ai retrouvé mon frère, dit-elle. J’ai le sentiment qu’il va faire ce qu’il faut.» L’avocate de Pierre Palmade, Me Céline Lasek, dresse un triste bilan des dernières tentatives : «Est-ce que, cette fois-ci, vous y croyez ?» Sa sœur : «Bien sûr que je veux y croire. Avant l’accident, je l’imaginais organiser ses obsèques, toxicomane dans un fauteuil, ruiné. Aujourd’hui, je l’imagine en train de transmettre.» Son parrain des narcotiques anonymes va dans le même sens. «Pour l’instant, il fait tout ce qu’il peut, dit-il. Et je serai à ses côtés tant qu’il le souhaitera.»

Le parquet requiert cinq ans de prison, dont deux ferme. Dans sa plaidoirie, Céline Lasek revient sur l’emballement médiatique autour de l’affaire. «J’en ai marre d’entendre partout qu’il a un traitement de faveur, dit-elle. Palmade, c’est toute sa vie qui a été étalée, dans ce qu’elle a de plus glauque, de plus triste, dans toutes ses failles…» Pour la première fois, elle a reçu des menaces à son cabinet. «Il est devenu le diable, un monstre. C’est quand même pas Fourniret.»

Le juge demande à l’humoriste s’il aimerait ajouter quelque chose. Et dans ce procès qui oscille entre deux tristesses – la douleur d’une famille et la souffrance d’un toxicomane – les derniers mots reviennent à Pierre Palmade : «Si j’ai une seule pensée c’est pour les victimes, je les ai vues en vrai aujourd’hui, ça m’a choqué. Je leur souhaite de se reconstruire.» Sans doute se le souhaite-t-il à lui aussi.

Il est 20 h 30, quand le président demande une dernière fois à Pierre Palmade de se présenter à la barre. Le tribunal le condamne à cinq ans de prison, dont trois avec sursis. Mandat de dépôt différé : l’humoriste sera bientôt convoqué par le procureur de la République pour déterminer la date et l’établissement pénitentiaire où il exécutera sa peine. L’avocat de la famille des victimes a réagi à la fin de l’audience : «La partie civile n’a pas à se satisfaire d’un jugement, la partie civile se satisfait d’avoir été entendue. Il n’y a aucun jugement à la hauteur de ce qu’ils ont vécu.» Et sur les excuses présentées par l’artiste déchu : «Ils sont encore heurtés, ils les ont accueillies modestement.» Un jeune photographe se met à courir dans la salle des pas perdus. «Ça sort sur le côté !» La traque continue…

Mise à jour le 21 novembre avec des ajouts