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Justice

Procès des assistants fictifs du RN : la juge et les deux procureurs menacés de mort

Le parquet de Paris a ouvert une enquête, après des commentaires postés sur le site d’extrême Riposte Laïque, menaçant la présidente du tribunal correctionnel et Paris et les deux représentants du ministère public qui ont requis contre le parti et Marine Le Pen.
Marine Le Pen à l'ouverture du procès des assistants parlementaires du RN, à Paris le 30 septembre. (Denis Allard/Libération)
publié le 29 janvier 2025 à 12h13

«Une balle de 9mm dans la nuque». Une enquête a été ouverte après des menaces de mort à l’encontre de la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, et deux représentants du ministère public, au procès des assistants fictifs du RN, révèle l’agence de presse Reuters. C’est le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH), créé il y a quatre ans pour lutter contre les cyberviolences, qui «a ouvert une enquête pour les menaces de mort au préjudice de magistrats, proférées sur internet», a indiqué le parquet de Paris mercredi soir. Celui-ci se dessaisira du dossier, comme il est d’usage, «au profit des parquets compétents en raison des domiciles de mis en cause qui seraient identifiés». «S’en prendre nommément aux personnes qui incarnent l’institution judiciaire ne saurait être accepté, a également dénoncé le parquet de Paris. Face à ces propos violents, il est rappelé qu’il est fondamental dans toute société démocratique que le débat judiciaire demeure encadré par la procédure pénale.»

Lors de ce procès, qui s’est tenu à l’automne au tribunal correctionnel de Paris, le parquet avait requis contre Marine Le Pen et plusieurs cadres du parti d’extrême droite des peines de prison, de lourdes amendes, et des peines d’inéligibilité avec exécution provisoire. Concernant l’ancienne candidate à la présidentielle, les peines requises par les deux procureurs Louise Neyton et Nicolas Barret sont de cinq ans de prison dont deux ferme, 300 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Ce qui priverait Marine Le Pen d’une nouvelle chance de se lancer dans la course à l’Elysée en 2027. Ainsi, les dirigeants du RN, la députée du Pas-de-Calais en tête, n’ont pas apprécié les réquisitions et ne se sont pas gênés pour l’exprimer publiquement. Le jour des réquisitions du parquet, fin novembre, Marine Le Pen avait ainsi affirmé que la justice souhaitait «priver les Français de voter pour qui ils souhaitent».

Le tribunal, présidé par Bénédicte de Perthuis, doit rendre sa décision dans ce procès le 31 mars. L’affaire porte sur un détournement de fonds publics massif, à hauteur de 4,6 millions d’euros, par le biais d’un ingénieux système mis en place par le parti d’extrême droite pendant des années et au préjudice du Parlement européen.

«Encore une gauchiasse»

Selon Reuters, qui cite une source policière, Bénédicte de Perthuis comme Louise Neyton et Nicolas Barret ont fait l’objet de menaces de mort sur le site d’extrême droite Riposte laïque le 6 octobre. Sous un article de la plateforme intitulé «Un procès stalinien mis en place pour ruiner le RN» et illustré d’une photo de Bénédicte de Perthuis, plusieurs commentaires, aujourd’hui supprimés mais facilement trouvables, appelaient en effet à «éliminer» la magistrate et les deux représentants du ministère public. L’un d’eux, rédigé par un certain «Francois Desvignes», proposant de tirer «une balle de 9 mm dans la nuque de la présidente du tribunal» pour la «calmer». «Cette gueule de juge ne me revient pas. Encore une gauchiasse, une merde qui veut dicter son idéologie. A éliminer au plus vite», écrit aussi un certain «Job», comme a pu le vérifier Libération.

L’enquête a été confiée à la brigade de répression de la délinquance aux personnes. Selon Reuters, le responsable éditorial de Riposte laïque, Guy Sebag, a été interrogé par la police le 19 janvier. Il lui aurait affirmé que les menaces de mort avaient «échappé à la vigilance» des modérateurs du site d’extrême droite, qui reçoit entre 500 et 1000 commentaires par jour, dont un tiers serait supprimé pour racisme ou incitation à la haine.

Interrogée sur cette affaire mercredi matin sur France Inter, la procureure générale de Paris, Marie-Suzanne Le Quéau, a affirmé qu’on assistait en France, ces dernières années, à une «dérive extrêmement inquiétante, où tous ceux qui exercent des fonctions d’autorité […] sont l’objet de plus en plus de menaces de mort et de propos totalement décomplexés». Contactée par Libé, la chancellerie n’a pas souhaité communiquer sur le nombre de juges menacés dans leur fonction, mais elle indique qu’un bureau dédié à la sécurité et la sûreté a été créé en juillet 2024. Son rôle consiste notamment à faire l’interface entre le magistrat concerné et le ministère de l’Intérieur, décisionnaire en matière de mesures de protection.

«Je constate combien notre État de droit - dont la nécessaire indépendance judiciaire - est menacé, et pas que par la menace du crime organisé, par la pensée qui se répand selon laquelle le juge serait un ennemi politique plutôt que d’envisager la réalité des faits de chacun tels que discutés ou établis par le débat judiciaire», a réagi auprès de Libération Ludovic Friat, le président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), qui apporte tout son soutien à ses collègues.