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Justice

Procès des assistants parlementaires : François Bayrou joue les professeurs d’éthique

Le président du Modem et actuel haut-commissaire au Plan a comparu ces mardi et mercredi dans un procès où il est soupçonné d’avoir été le «décideur» du «système frauduleux» entre 2005 et 2017. Et contesté tout détournement de fonds publics européens.
Le président du Modem, François Bayrou, arrive à son procès au tribunal judiciaire de Paris, le 7 novembre. (Miguel Medina /AFP)
publié le 8 novembre 2023 à 18h20

«Puis-je vous demander une petite faveur, monsieur le président : avoir un stylo pointeur ?» interroge François Bayrou pour surligner certains passages de documents internes que le tribunal envisageait de projeter à l’audience. C’est un président du Modem allié d’Emmanuel Macron qui semble avoir bien épluché son dossier. Un actuel haut-commissaire au Plan et ex-garde des Sceaux, conscient de l’importance du moment, qui s’est présenté à la barre du tribunal de Paris, mardi 7 et mercredi 8 novembre, dans la dernière ligne droite du procès des assistants parlementaires des eurodéputés du Modem, suspectés d’avoir œuvré davantage pour le parti à Paris plutôt qu’à Bruxelles ou Strasbourg. Dans cette affaire, François Bayrou encourt dix ans d’emprisonnement, un million d’euros d’amende et dix ans d’inéligibilité.

Professoral, le maire de Pau, 72 ans, résume d’entrée l’embrouille : «Les assistants parlementaires ont-ils travaillé assez, pas beaucoup ou mal pour nos eurodéputés ? Ont-ils travaillé pour le parti ? Dans tous les cas, il n’y a pas d’emplois fictifs.» François Bayrou admet la mutualisation des enveloppes budgétaires des eurodéputés (17 450 euros par mois) en vue de s’entourer d’assistants. Mais il légitime la méthode au nom d’une «task force» au sein des locaux parisiens du Modem. «Plutôt que de vivre en bocal à Bruxelles, il était naturel qu’on leur propose de travailler au siège.» Ce siège, rue de l’Université près de l’Assemblée nationale, hérité de l’ancienne Union pour la démocratie française et estimé à environ 15 millions d’euros, dont il est si fier : «Nous sommes le seul parti en France qui n’a pas de dettes, c’est la garantie de notre liberté.»

«C’est une blague»

L’accusation voit plutôt dans la mauvaise passe budgétaire du Modem, suite aux législatives de 2012, entraînant une baisse drastique de ses dotations publiques, la porte ouverte à quelques combines salariales. «Aucune menace grave n’aurait pu nous conduire sur les chemins de l’illégalité», rétorque Bayrou. Tout en concédant avoir dû alors licencier une bonne partie des permanents du parti (les effectifs passant de 25 à 8). Et de recourir à divers expédients ?

On entre dans les détails de tel ou tel attaché(e) parlementaire. Il évacue celui de Quitterie de Villepin, qui avait dénoncé le système : «Elle n’a jamais travaillé pour le parti, mais travaillait pour elle dans le parti, candidate aux élections internes, agitant avec brio les réseaux sociaux. Mais sans jamais la moindre instruction de ma part.» Puis vient le cas de sa propre attachée de presse, partiellement rémunérée par l’eurodéputé Robert Rochefort : «C’était une bonne idée de la partager avec lui, elle l’a promu très efficacement. On ne peut pas se dire simplement député à Bruxelles, il faut des relais en France.» Ou encore celui de sa propre secrétaire, en partie rémunérée par Marielle de Sarnez au Parlement européen : «C’est une blague, je travaille sans secrétariat, je n’en ai même pas à ma mairie de Pau ou actuellement au commissariat au Plan, j’écris moi-même toutes mes lettres. Son travail pour le parti était extrêmement léger.»

«Traversées du désert»

François Bayrou admet le litige et même l’alimente : «Je sais qu’il y a des partis, sur les deux bords de l’échiquier, ou ça a pu se passer, mais pas chez nous.» Allusion au RN, qui fait l’objet de poursuites pénales similaires, dont l’un des responsables fut à l’origine de l’affaire du Modem, balançant aux enquêteurs le cas du parti centriste pour mieux élargir le spectre. Ou encore : «Le PS, LR, tous les groupes parlementaires fonctionnent ainsi, en mutualisant le travail des assistants parlementaires à Bruxelles. Moi, j’aurai préféré que cela se passe au siège parisien du Modem.» Depuis le déclenchement de l’affaire, ils n’y travaillent plus. Une partie des locaux, désormais vides, sont loués à une entreprise.

Une dernière tirade à la barre sur l’épopée centriste, faite de «traversées du désert», mais désormais dotée du «parti le plus uni sur la scène politique». François Bayrou ne peut s’empêcher de s’extirper du pénal, qui le met en porte-à-faux, pour s’en remettre à l’histoire : «Nous fêterons l’an prochain le centenaire de cette famille politique, démocrate-chrétienne, la seule qui a refusé de signer les accords de Munich.» Avant d’étouffer un sanglot à la énième évocation de Marielle de Sarnez, fidèle bras droit décédée en janvier 2021. Armure brièvement fendue.