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Justice

Procès des «mains rouges» taguées sur le Mémorial de la Shoah à Paris : les prévenus se présentent comme de simples suiveurs

Au premier jour de l’audience devant le tribunal correctionnel dans l’affaire des tags retrouvés en mai 2024, trois ressortissants bulgares ont désigné un quatrième, toujours en fuite, comme la tête pensante de l’opération.

Des mains rouges taguées dans les rues de Paris le 14 mai 2024. (Antonin Utz/AFP)
Publié le 29/10/2025 à 23h18

Les trois hommes alignés dans le box des prévenus, qui comparaissent ce mercredi 29 octobre devant la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris, ne sont-ils, comme ils l’affirment, que des suiveurs, menés par un comparse qui les aurait leurrés avec un prétendu projet pacifiste ? Ou bien les maillons bien moins naïfs d’une petite entreprise de sous-traitance en déstabilisation ?

C’est ce que va devoir déterminer la justice à l’issue de ce procès, qui se tient jusqu’à vendredi. Le premier d’une série de dossiers que les autorités françaises rattachent à des opérations d’ingérence étrangère, et sur lesquels plane l’ombre de la Russie.

Quatre ressortissants bulgares, dont l’un est toujours en fuite, sont jugés dans l’affaire des «mains rouges» taguées au pochoir, dans la nuit du 13 au 14 mai 2024, sur le Mur des Justes du Mémorial de la Shoah et dans des rues du centre de Paris.

Trois d’entre eux doivent répondre de «dégradations» commises en réunion et en raison d’une supposée «appartenance à une race, ethnie ou religion» ; le quatrième, de «complicité» de ces dégradations aggravées. Tous sont poursuivis pour association de malfaiteurs. Ils encourent jusqu’à sept ans de prison et 75 000 euros d’amende.

Georgi F., 36 ans, Kiril M., 28 ans, et Nikolay I., 42 ans, ne contestent pas avoir, pour le premier, apposé une partie des mains rouges, pour le second, avoir filmé les tags et, pour le troisième, avoir été le logisticien de l’expédition en réservant hôtel et transports. Mais tous réfutent le mobile antisémite ; tous nient avoir ciblé le Mur des Justes, ou avoir eu conscience que le symbole des mains rouges pouvait renvoyer au lynchage de deux réservistes israéliens à Ramallah, en Cisjordanie, en octobre 2000, a fortiori après la très vive polémique qui avait suivi une manifestation propalestinienne à Sciences-Po Paris. Tous, aussi, font de l’absent, Mircho A., la tête pensante de l’opération.

Croix gammée et aigle impérial

Premier à répondre aux questions du tribunal, Georgi F. tient à «[s’]excuser» pour les dégradations commises et pour «avoir choisi une façon aussi malhonnête de gagner de l’argent», son seul mobile, en l’occurrence 1 000 euros qui lui ont permis, raconte-t-il, de payer des arriérés de pension alimentaire. Il affirme s’être laissé guider par Mircho A., qui aurait décrit l’opération comme un «projet pour mettre fin à la guerre» et qui, sur place, «repérait les lieux», sans que lui-même sache où les tags étaient apposés. Quant à ses tatouages sur le torse – une croix gammée, un aigle impérial emblème de l’Allemagne hitlérienne –, ils relèvent, assure-t-il, de ses opinions «passées». Sa dernière adhésion à une organisation nationaliste daterait d’il y a plus de dix ans ; il ne s’explique pas bien la photo, mise en ligne en 2001, où il porte un tee-shirt arborant un portrait d’Adolf Hitler, sinon que c’est «un très vieux tee-shirt».

Kiril M. assure qu’il n’avait aucune idée qu’on lui demanderait de filmer les tags : il pensait qu’il venait en France pour «apporter des cigarettes» à Mircho A. et Georgi F… Il raconte surtout avoir «pas mal bu» : dès lors, «les choses ne sont pas très claires». Il assure avoir ignoré le caractère illégal de toute l’affaire ; les 500 euros qu’il a touchés lui auraient été donnés a posteriori, et avec insistance, par Mircho A.

Quant à Nikolay I., le logisticien, il affirme lui aussi avoir agi sur les instructions de l’absent. «Vous avez fait l’école des officiers, vous avez appartenu à une unité d’élite militaire et à un parti nationaliste bulgare : vous n’aviez pas votre grille de lecture ?» demande la procureure. «Je n’ai jamais supposé que Mircho puisse me mentir», répond Nikolay I., qui se dépeint comme un «pacifiste».

Fonctionnement organisé et répété

Reste que l’enquête judiciaire, via notamment des éléments de renseignement recueillis par la Direction générale de la sécurité intérieure auprès de services étrangers, a mis en lumière, au-delà du seul cas de l’opération «mains rouges», un fonctionnement organisé et répété à plusieurs reprises. Ainsi Georgi F. a-t-il reconnu avoir conduit un bus qui transportait des cercueils déposés début juin 2024 au pied de la tour Eiffel – une procédure toujours en cours, dans laquelle il n’est pas mis en examen. Mircho A. et Kiril M., eux, s’étaient déjà déplacés à Paris en avril 2024, et le second s’est rendu en Suisse en juin de la même année. Des données de bornage téléphonique l’ont confirmé.

Alors, Kiril M. affirme qu’en avril, à Paris, seul Mircho A. a collé des autocollants sur la guerre en Ukraine : lui était là pour aller «dans les bars» et «à la tour Eiffel». A Munich, où le tandem, selon les éléments de renseignement, a dégradé la tombe de Stepan Bandera, figure du nationalisme ukrainien qui collabora avec l’Allemagne nazie, ils étaient venus, dit Kiril M., «acheter une voiture». Interrogé sur son profil de recruteur tel qu’il ressort de l’enquête judiciaire, Nikolay I. soutient : «Je n’ai aucun penchant prorusse. J’ai toujours été vent debout contre les russophiles en Bulgarie.»