«J’ai éteint ma télévision dans la nuit du 13 novembre 2015. J’ai tout coupé, pris de la distance avec ce qui s’était passé pour me protéger. Salah Abdeslam a été arrêté le 18 mars 2016, j’ai accouché de ma fille, Thelma, le 16 mars 2016, donc même cette information n’est pas arrivée jusqu’à moi. Pendant six ans, je ne me suis pas du tout occupée des faits. J’ai eu besoin de les mettre à distance pour intégrer la mort de Matthieu. Au printemps 2021, mon avocate, Sylvie Topaloff, m’a prévenue : “Ce procès va avoir lieu. Avec ou sans vous.” Je ne savais pas encore si je voulais témoigner ; je ne savais même pas si j’avais envie de venir.
Récit
«Début octobre, j’hésitais encore. Puis mon neveu m’a annoncé qu’il était prêt à venir de Londres pour m’entendre. C’était quelque chose pour lui, il voulait connaître cette histoire. Le point de départ, c’est ça. Quand le 13 Novembre est arrivé, on s’est occupé des tout-petits, on s’est occupés de nous… Quand quelque chose comme ça survient dans une famille, c’est un effondrement dans la vie des gens. Avec un immense silence autour. Alors, je me suis dit : “Si je dois raconter cette histoire-là une dernière fois, c’est le bon endroit.”
«Ce témoignage, je l’ai écrit sur un coin de table, à l’os, un peu dans l’urgence. C’est sorti comme ça. Je l’ai rédigé en deux jours et six ans ! Ça me donne des frissons d’en reparler. Lorsque je me suis avancée à la barre, j’étais prête. La salle d’audience semble immense, mais cette immensité est derrière toi quand tu es face à la cour. Et puis, il y a une écoute réconfortante. Je me suis bien sentie assez vite.
«Juste après, j’ai accepté de transmettre mon texte à une journaliste de France Inter que je connais bien. J’ai commencé à recevoir des textos, des appels. C’est le lendemain que je me suis rendu compte de l’ampleur. Quelque chose m’a dépassée, j’ai été comme dépossédée. Je dirais que plus tu touches à l’intime et à la sincérité, plus tu es universel. Mais je me refuse un peu à y réfléchir… Ça vit, c’est bien !
«Aujourd’hui, cette salle d’audience est devenue comme une cachette. Moi qui ai des problèmes d’insomnie en ce moment, c’est presque l’endroit où je dors le mieux ! En revanche, je n’ai pas écouté pas la web radio : je ne veux pas que ça entre dans ma maison. Je me souviens du premier jour, quand le président de la cour a lu la liste des victimes des attentats, tous ces noms égrenés : on convoquait les fantômes. Et puis, dans la salle, il y avait toutes les autres parties civiles, moi qui avais vécu complément recroquevillée sur mon chagrin, j’ai vu tous ces gens et j’ai pensé : “On a tous été brûlés à la même flamme.”
«Pendant six ans, j’ai négligé mon traumatisme. Epuiser le récit de cette nuit-là, rencontrer d’autres personnes qui ont vécu ça, a vraiment eu une vertu. Oui, ce procès nous répare, je le découvre. Et je trouve important de le dire. On a tous cheminé dans cette salle : les accusés, les avocats, les parties civiles… On n’est plus du tout au même endroit qu’en septembre. Je suis hyper émue d’avoir vécu cette expérience, de m’être fait prendre dans cette rivière-là.
Edito
«La femme que j’étais vraiment a explosé la nuit du 13 Novembre. Pendant six ans, j’ai eu l’impression d’avoir ramassé mes petits morceaux de moi. Avec ce procès, j’ai pu rassembler ces débris et sculpter, réanimer la femme que j’étais avant. Ces dix mois, à la fois très longs et très courts, ont été une avancée spectaculaire. Cela m’a permis de métaboliser mon drame. J’ai pourtant longtemps cru qu’il fallait que je me trouve ailleurs, comme disait Marguerite Yourcenar. Il fallait tout ce temps-là. Il fallait six ans et dix mois pour me retrouver. Je vais tourner une énorme page, et après ça, la vie recommencera. C’est sûr, il y aura un après.»