La voix de celui qui osait critiquer ouvertement le régime autoritaire d’Ilham Aliev, président de l’Azerbaïdjan, s’est définitivement éteinte mardi 1er octobre. Vidadi Isgandarli, opposant de longue date du régime au pouvoir en Azerbaïdjan, est mort à l’hôpital de Mulhouse (Haut-Rhin), deux jours après avoir été poignardé à son domicile. En raison du danger qui pesait sur l’homme de 62 ans, les autorités françaises lui avaient octroyé un visa humanitaire en 2017. Avant lui, d’autres dissidents ont été victimes d’agressions similaires dans l’Hexagone. Libé fait le point sur ce que l’on sait de ce meurtre.
Les faits
Tandis qu’il se trouve dans son appartement situé à Mulhouse dimanche 29 septembre, Vidadi Isgandarli, très critique à l’égard du régime en place en Azerbaïdjan, est agressé par trois individus masqués. Selon son avocat Henri Carpentier, cette attaque arrive au petit matin, alors que le blogueur «dormait chez lui». Par ses cris, il parvient toutefois à alerter le voisinage, ce qui met en fuite ses agresseurs. Il appelle ensuite son frère, qui a lui-même demandé l’intervention des secours et de la police. Les premiers éléments de l’enquête font alors état d’une quinzaine de coups de couteau et des blessures de défense au niveau des bras du dissident.
Une enquête pour «tentative de meurtre» est ouverte dans la foulée par le parquet. Toutefois, Vidadi Isgandarli ne pourra jamais être entendu par les enquêteurs sur ces faits : il est décédé mardi des suites de ses blessures à l’hôpital de Mulhouse, où il avait été placé en soins intensifs.
Le profil de la victime
Vidadi Isgandarli, âgée de 62 ans, était un ancien procureur azerbaïdjanais. Il avait obtenu en France en 2017 un visa humanitaire, octroyé aux personnes dont la vie ou la sécurité est menacée. Il s’était alors installé dans l’Hexagone avec sa famille. Mais sur sa chaîne YouTube et son blog, il continuait de régulièrement critiquer le régime autoritaire d’Ilham Aliev, président de l’Azerbaïdjan depuis 2003. Vidadi Isgandarli «avait récemment vivement critiqué le président Aliev et son régime», explique ainsi Me Carpentier.
Interview
Le régime de l’autoritaire Ilham Aliev, qui a pour vice-présidente sa propre femme, Mehriban Alieva, est souvent pointé du doigt par les défenseurs des droits de l’homme. L’Azerbaïdjan, ex-république soviétique de quelque 10 millions d’habitants, est aussi habituée aux dernières places des classements des groupes de défense des droits de l’homme.
L’enquête
L’agression du dissident est-elle directement reliée à l’autocrate au pouvoir à Bakou ? «Toutes les pistes restent ouvertes», avance le parquet, qui affirme vouloir exploiter «tout ce qui peut l’être», et notamment les images des caméras de vidéosurveillance. Une autopsie a également été ordonnée. Une nouvelle enquête, cette fois-ci pour meurtre, a été confiée au service interdépartemental de la police judiciaire de Mulhouse.
Le dissident avait par ailleurs déjà été victime d’une agression à Mulhouse en 2022. A l’époque, il avait été «victime de jets de pierre», explique le parquet. Ses agresseurs avaient été interpellés et avaient fait l’objet d’une ordonnance pénale. Mais le parquet n’avait pas relevé de dimension politique affirmant qu’il «avait été pris à partie par des jeunes du quartier parce que, selon les agresseurs, il harcelait une jeune femme. L’enquête de police avait conclu à un simple différend de quartier.»
Un autre opposant déjà attaqué plusieurs fois
Le meurtre de Vidadi Isgandarli fait écho à des précédents. Un autre opposant au régime au pouvoir en Azerbaïdjan, Mahammad Mirzali, lui aussi réfugié en France, «avait survécu miraculeusement à trois tentatives d’assassinat effectuées en France et organisées par l’Azerbaijan», explique Me Carpentier, également avocat du dissident. La dernière d’entre elles est survenue à Nantes en juin 2022. «Son seul tort aura été de critiquer un régime autoritaire et kleptocratique. Les auteurs ont été identifiés par la justice française et seront jugés dans les mois à venir, mais les donneurs d’ordre n’ont pas été inquiétés», a-t-il poursuivi. «Mahammad Mirzali dénonce l’impunité des plus hautes autorités de Bakou et leur volonté de faire régner la violence sur le territoire français», renseigne encore ses avocats.
A lire aussi
Dans un article de Ouest-France paru mardi, Mahammad Mirzali se demande «jusqu’à quand la France acceptera de voir l’Azerbaïdjan attaquer des personnes sur son sol. Ce régime fait régner la violence». Et l’activiste de poursuivre : «Cela faisait trois semaines que Vidadi se sentait menacé. C’est ce que j’ai vécu moi-même… Cela ravive mes plus grandes peurs. Quand j’ai appris ça ce mardi, je me suis littéralement effondré. Ils peuvent frapper à tout moment.»
De son côté, Amnesty International exhorte «les autorités françaises à examiner tous les mobiles possibles» pour le meurtre de Vidadi Isgandarli, et «notamment ses critiques contre le président et le gouvernement azerbaïdjanais, qui étaient les raisons l’ayant poussé à s’exiler». Natalia Nozadze, chercheuse pour la région du Sud-Caucase au sein de l’ONG, ajoute : «C’est la deuxième fois ces dernières années qu’un Azerbaïdjanais vivant en exil en France est victime d’une attaque au couteau […] Le monde doit savoir qui est responsable de ces agressions contre des émigrés azerbaïdjanais sur le sol français et des mesures doivent être prises pour empêcher que cela ne se reproduise.»