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Libération
Décryptage

Quatre histoires de «brouteurs» pour mieux comprendre les cyberarnaques

Installés pour la plupart en Côte-d’Ivoire, ces escrocs passent par Internet pour tenter d’extorquer de l’argent à leurs cibles. Avec des conséquences parfois dramatiques.
L'appellation «brouteur» est une référence aux moutons qui se nourrissent sans faire d’efforts. (Maskot/Getty Images)
publié le 16 mars 2024 à 15h08

Mercredi 13 mars, le procureur de Boulogne-sur-Mer révèle un féminicide survenu le 28 janvier à Beussent, dans le Pas-de-Calais. Selon les informations qu’il a communiquées, l’accusé, mis en examen, «entretenait une relation affective sur Internet» avec une personne dont il ne connaissait pas la véritable identité et aurait tué sa compagne dans l’espoir de pouvoir «concrétiser» sa relation, qui était virtuelle. Preuve que les «brouteurs» peuvent générer des drames terrifiants.

Les «brouteurs» ? Il s’agit d’escrocs, souvent des hommes jeunes, qui se font passer pour autrui sur Internet. Leur nom est une référence aux moutons qui se nourrissent sans faire d’efforts, en grignotant l’herbe à leurs pieds. Installés en Afrique de l’Ouest, et singulièrement en Côte-d’Ivoire, à Abidjan (où le chômage toucherait 80% des jeunes), ces cyberarnaqueurs profitent de la naïveté, de la vulnérabilité ou de l’isolement social de leurs cibles pour leur soutirer de l’argent, souvent après avoir noué une relation amoureuse virtuelle avec elles. Ainsi la plupart des victimes des «brouteurs» sont-elles des femmes de plus de 50 ans, moins à l’aise avec les codes des réseaux sociaux et plus à même de se faire piéger.

1. Une arnaque aux sentiments à plus de 150 000 euros

Pas de chance pour cette sexagénaire résidant à Torcy, en Seine-et-Marne : l’homme qu’elle avait rencontré sur un site de rencontres et avec lequel elle avait entretenu une relation virtuelle de septembre 2019 à mai 2020 était en fait un «brouteur». Profitant de l’influence qu’il avait sur elle, il lui avait fait croire que sa fille était gravement malade et qu’il ne pouvait pas payer les frais médicaux. Gagné : la victime envoie au total 158 000 euros, sur différents comptes dont certains basés en Côte-d’Ivoire… avant de se rétracter et de porter plainte contre l’arnaqueur. Les investigations, menées par la police judiciaire de Meaux, ont conduit à l’arrestation d’un ressortissant ivoirien de 33 ans. Il a été condamné à 30 mois de prison, fin février. Dans d’autres affaires, le préjudice subi par les victimes s’élève à plusieurs dizaines de milliers d’euros.

2. La fausse condamnation judiciaire

C’est une autre forme d’escroquerie, pareillement sophistiquée et efficace. «Vous faites l’objet de poursuites pour pédopornographie» – ou pédophilie, ou trafic sexuel, c’est selon : des centaines de milliers de personnes ont reçu un message de cet acabit dans leur boîte mail, ces dernières années. Les émetteurs se font passer pour des représentants de la police ou de la gendarmerie et réclament à leurs interlocuteurs un virement de plusieurs milliers d’euros pour mettre fin aux poursuites. Paniquées, effrayées à l’idée qu’une telle accusation soit connue de leurs proches, nombre des victimes se sont exécutées. Face à la propagation de ce type d’arnaques, une enquête a été ouverte en 2021, confiée notamment à l’Office central de lutte contre la cybercriminalité (OCLCTIC), avec l’appui d’Europol. Elle a débouché sur un procès, qui s’est tenu au tribunal de Paris fin janvier. Sur le banc des prévenus : 14 ressortissants ivoiriens nés dans les années 90. Selon le Parisien, le parquet a requis des peines de prison et le jugement a été mis en délibéré.

3. Chasseuse de «brouteurs»

C’est l’histoire d’une dame de Haute-Savoie, mère au foyer trentenaire, qui a décidé de faire la guerre aux «brouteurs». Ouest-France l’a racontée sur son site Internet, début 2024. D’abord, la dame de Haute-Savoie, dont le nom n’est pas cité, s’amusait à jouer avec les escrocs qu’elle avait repérés, pour se moquer d’eux. «Jusqu’au jour où j’ai découvert l’envers du décor : les victimes et les dégâts que les brouteurs pouvaient faire. Certaines peuvent perdre des centaines de milliers d’euros !» assure-t-elle. Désormais, elle est passée à l’étape supérieure : la voilà qui s’échine à dénoncer, sur les réseaux sociaux, la menace des «brouteurs» et donne des conseils pour les identifier. Mieux : dans certains cas, elle parvient à hacker les ordinateurs des escrocs, dérober leurs données, et alerter les victimes.

4. Les «brouteurs» broutés

Lui, son truc, c’est d’arnaquer les «brouteurs». David, 45 ans, est connu sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme «Méta-Brouteur». Sur X, il cumule plus de 80 000 abonnés et raconte les meilleurs tours qu’il a joués aux cyberarnaqueurs. Florilège : «Comment je fais croire à un brouteur qu’il est témoin d’un meurtre», «comment j’ai pourri un brouteur pendant plus de trois mois», «je m’occupe d’un brouteur qui a dérobé 3 200 euros à une mère de famille»… Passionné par son petit jeu, le quadragénaire, employé dans l’aéronautique au quotidien, va jusqu’à solliciter lui-même les escrocs sur les réseaux sociaux, en repérant les faux profils, par exemple ceux qui usurpent l’identité de personnalités publiques. «Juste pour le plaisir», racontait-il au site Actu.fr en 2022. Et de s’enthousiasmer : «Je jubile de me dire que je suis en train de les contre-escroquer, j’adore ça […]. Tantôt je joue la victime qui ne comprend rien de ce que l’on me raconte, tantôt, je joue au brouteur plus expérimenté qui donne des conseils. J’adore le concept des jeux de rôle