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«Quelle belle salope celle-là» : la magistrature n’est pas épargnée par les violences sexistes et sexuelles, selon une étude

Un rapport du Syndicat de la magistrature, classé à gauche, paru ce jeudi 5 décembre met en lumière de nombreux cas de harcèlement, d’agression sexuelle, et de viol qui se produisent au sein de l’institution judiciaire. Près de 10 % des juges interrogés se disent victimes de violences sexistes et sexuelles.
Les discriminations liées à l’orientation sexuelle sont aussi fréquentes, avec 42,6 % des personnes interrogées qui s’en déclarent témoins et /ou victimes. (Arthur Nicholas Orchard /Hans Lucas. AFP)
publié le 5 décembre 2024 à 11h35

«Quelle belle salope celle-là», raille un chef de parquet à l’annonce de la troisième grossesse d’une collègue. Cette phrase, prononcée par un procureur montre que les magistrats, chargés de juger notamment les crimes et délits sexuels, ne s’interdisent pas, malgré leur profession, les réflexions sexistes et sexuelles. Une étude réalisée par le Syndicat de la magistrature (SM) parue ce jeudi 5 décembre, fait état de nombreux cas de harcèlement, d’agression sexuelle et même de viol au sein de cette corporation.

Pour parvenir à ce résultat, le syndicat, classé à gauche, a diffusé entre janvier et mars 2024 un questionnaire à plus de 9 000 magistrats (juges du siège, procureurs, substituts… ) et auditeurs de justice (juges en stage). Au total, il a recueilli 525 réponses exploitables. Parmi celles-ci, 48 personnes se déclarent victimes de violences sexistes et sexuelles, soit 9,14 % du total, et 78 se disent témoins de tels faits, soit 14,8 %. Parmi les victimes déclarées, 9 répondants disent avoir subi un viol ou une agression sexuelle.

«Des baisers forcés»

Les multiples témoignages recueillis par le Syndicat évoquent des agressions sexuelles, comme «des baisers forcés au tribunal, sur le lieu de stage ou dans un ascenseur», «un maître de stage touchant la cuisse d’une auditrice, y compris pendant une audience» ou encore «des caresses non consenties sur les fesses». Des faits de harcèlement ont également été dénoncés, en grand nombre, indique l’étude. Il peut s’agir de «propositions sexuelles répétées», de requêtes insistantes «pour obtenir le numéro de téléphone» mais aussi de la demande «d’un magistrat honoraire à des greffières de se déshabiller» ou encore de «commentaires récurrents par un magistrat sur le physique des jeunes femmes travaillant avec lui».

Les discriminations liées à l’orientation sexuelle sont aussi fréquentes, avec 42,6 % de répondants qui s’en déclarent témoins et /ou victimes au sein de l’institution judiciaire. L’un d’eux s’est vu asséner par un collègue : «Vous devriez être contents, moi j’accepte de travailler avec un homosexuel.» Dans les couloirs du tribunal, il arrive aussi que les lesbiennes soient qualifiées de «camionneuses», et pour un magistrat, l’homosexualité est synonyme de «fléau».

82,5 % de femmes victimes

Alors que la profession s’est largement féminisée depuis 1946, quand les femmes ont pu accéder à la fonction de magistrates, l’étude montre «une surproportion de femmes parmi les victimes de VSS ou désignées comme telles par les témoins et, d’autre part, une surproportion d’hommes désignés comme auteurs» de ces actes. Parmi les faits relatés par les victimes déclarées, 82,5 % concernent des femmes et parmi les auteurs désignés, 91,6 % sont des hommes.

Par ailleurs, plus de 70 % des auteurs désignés avaient un lien hiérarchique ou d’autorité avec les supposées victimes. Celles-ci ont d’ailleurs tendance à ne pas informer leurs supérieurs de ce qu’elles subissent. Seulement un quart des faits cités dans le rapport ont été signalés. Dans seulement trois cas, la hiérarchie a pris des mesures qui ont permis de faire cesser les violences. Il s’agit généralement de muter la personne accusée, ou de la rétrograder.

Face à ces constats, le Syndicat de la magistrature propose d’améliorer la formation de l’ensemble des magistrats sur le sujet, de créer des référents dédiés ou encore d’élaborer une procédure interne de signalement. Il martèle la nécessité de «développer une protection réelle pour les victimes», d’améliorer leur prise en charge et de rendre effectives des «cellules de veille et d’écoute».