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Liberté de la presse

Rassemblement à Paris en soutien à la journaliste Ariane Lavrilleux : «Il y a une volonté de nuire à la liberté d’informer»

Reporters sans frontières avait organisé ce mercredi à Paris un rassemblement pour exiger la libération immédiate de la journaliste d’investigation entendue par les enquêteurs pour avoir révélé fin 2021 un possible détournement par l’Egypte d’une opération de renseignement française. Elle a été libérée après 48 heures de garde à vue.
Julien Bayou, Olivier Faure et Raquel Garrido au rassemblement de soutien à Ariane Lavrilleux, journaliste de «Disclose» en garde à vue, à Paris le 20 septembre 2023. (Albert Facelly/Libération)
publié le 20 septembre 2023 à 22h16
(mis à jour le 21 septembre 2023 à 7h33)

Une perquisition de neuf heures à son domicile et une garde à vue de 48 heures. Tel a été le régime enduré depuis mardi par la journaliste d’investigation Ariane Lavrilleux, remise en liberté mercredi soir. Quelques heures auparavant, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées à Paris, Marseille et Lyon pour réclamer la «libération immédiate» de la journaliste de Disclose placée en garde à vue après avoir notamment révélé fin 2021 un possible détournement par l’Egypte d’une opération de renseignement française. «Ça fait trente-sept heures qu’elle est en garde à vue […], c’est énorme», a dénoncé Magali Serre, la présidente de Disclose. «Il y a une volonté de découvrir sa source et de nuire à […] la liberté d’informer», a-t-elle poursuivi lors du rassemblement convoqué en fin d’après-midi place de la République à Paris par Reporters sans frontières (RSF), les syndicats de la profession et Disclose. «C’est surtout un message limpide à l’égard de tous les journalistes français, de [la part de] l’Etat, qui leur dit : si vous enquêtez sur des secrets d’Etat, vous risquez de terminer comme Ariane Lavrilleux, en garde à vue.» «Nous sommes face à une intimidation comme on n’a jamais vu ces dernières années», a dénoncé de son côté Emmanuel Poupard, au nom de l’intersyndicale journalistes.

«Traitée comme une criminelle»

18 h 15. Un groupement commence à se former place de la République. Des membres de RSF, d’Amnesty International et du Syndicat des journalistes (SNJ) prennent successivement la parole pour exiger la libération immédiate d’Ariane Lavrilleux et déplorent «qu’elle soit traitée comme une criminelle pour le simple fait d’avoir exercé sa profession».

«Ariane avait du mal à entrer en contact avec son média et son avocate, c’est très grave», dénonce Pavol Szalai, responsable du pôle Europe de Reporters sans frontières. D’un ton calme mais décidé, il raconte à Libé que son ONG a «alerté sur le plan international sur cette grave menace au principe de la protection des sources». Si Ariane Lavrilleux n’est pas la première à avoir été convoquée par la DGSI, dit-il, c’est la première fois qu’on a affaire à une perquisition d’une durée de neuf heures.

«Cela ne doit pas être du tout évident d’être réveillée à 6 heures du matin et qu’on retourne tout ton appartement pour retrouver les gens qui ont déposé leur confiance en toi, en ton travail», s’inquiète Jules Beaucamp, un journaliste de Canal plus fraîchement diplômé. Qui ajoute qu’au moins, «la profession fait corps, ce n’est pas plaisant, mais ça ne peut que lui faire chaud au cœur de savoir qu’on est derrière elle».

Tandis que les prises de parole s’enchaînent, rythmées par des pauses pour scander «Libérez Ariane !», des étudiants en journalisme s’avancent pour obtenir une interview. Certains d’entre eux visiblement ravis d’écrire leur tout premier reportage.

«Constitutionnaliser la protection des sources»

Les trois élus venus en soutien d’Ariane Lavrilleux sont prêts à prendre la parole. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, regrette que «la protection des sources [ne soit] pas complètement garantie» et estime qu’il faut «légiférer pour [la] constitutionnaliser», avant de souhaiter que cela soit fait «dans les prochaines semaines». Le député écologiste Julien Bayou souligne que «grâce aux journalistes et aux ONG, nous avons une information factuelle sur ce que fait notre gouvernement».

«Ce n’est pas un sujet technique ou corporatiste, défend la députée LFI de Seine-Saint-Denis Raquel Garrido, les journalistes ont besoin de leurs sources pour accéder à l’information, et donc travailler. Et cela est corollaire à notre droit à une information de qualité.» Elle nous renvoie à l’histoire du Chili, qui est aussi la sienne, et des autres pays latino-américains. Puis martèle : «Le droit à la protection des sources est un élément constitutif du droit de la presse. Cette enquête est d’intérêt public car elle révèle des informations qui concernent des violations des droits de l’homme.» Le traitement déployé à l’encontre d’Ariane Lavrilleux «est un cas d’école» et «le peuple a besoin de connaître les pratiques de son gouvernement», insiste l’élue insoumise. Avant d’interpeller les autorités : «En entravant les droits de la presse, vous protégez l’impunité et le crime. Constitutionnaliser la protection des sources permettrait de classer ce secret dans une plus haute place hiérarchique.»

A Marseille où la journaliste est en garde à vue depuis mardi, plusieurs dizaines de personnes se sont également rassemblées devant l’hôtel de police. «Ici journaliste au cachot», «Info derrière les barreaux», pouvait-on lire sur des pancartes. «Ariane n’a fait que son métier de journaliste, pour ce travail-là, elle se retrouve en garde à vue, ce qui est absolument intolérable», a lancé Pierre Isnard-Dupuy (collectif Presse papier), tandis que le rédacteur en chef de la Marseillaise, Leo Purguette, a dénoncé une «atteinte très grave au droit d’être informé» pour les citoyens et réclamé «l’arrêt des poursuites à son égard». A Lyon, une trentaine de personnes se sont réunies devant la préfecture pour marquer «leur solidarité», a confié à l’AFP Jean-Pierre Vacher, président du Club de la presse de Lyon.

Secret-défense

La garde à vue d’Ariane Lavrilleux a également suscité des protestations d’Amnesty International, qui a déploré «une attaque contre les journalistes […] qui tentent d’exposer les actions opaques des services de renseignement français».

Disclose avait affirmé dans un article publié en novembre 2021 que la mission de renseignement française «Sirli», entamée en février 2016 au profit de l’Egypte au nom de la lutte antiterroriste, avait été détournée par l’Etat égyptien qui se servait des informations collectées pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, à la frontière égypto-libyenne. A la suite de cette publication, le ministère français des Armées avait porté plainte pour «violation du secret de la Défense nationale».

Une enquête préliminaire avait été ouverte en novembre 2021 avant qu’une juge d’instruction ne soit désignée à l’été 2022. Disclose a précisé mercredi, sur X, que selon ses informations, «les enquêteurs de la DGSI reprochent à [la] journaliste d’avoir signé 5 articles sur les ventes d’armes françaises à l’étranger, publiés dans le média depuis 2019». Outre celui portant sur l’opération «Sirli», Disclose cite des articles portant sur «la vente de 30 avions Rafale à l’Egypte», «les armes livrées à la Russie jusqu’en 2020», «la vente de 150 000 obus à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis (EAU)» et «le transfert d’armes illicites des EAU vers la Libye».

Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a refusé mercredi de répondre à une question sur cette affaire, lors du compte rendu du Conseil des ministres. Contacté par l’AFP, le ministère de la Culture n’a pas donné suite.

Mise à jour : jeudi 21 septembre à 7 h 20, Ariane Lavrilleux remise en liberté mercredi soir après 48 heures de garde à vue.