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Libération
Interview

Relaxe d’un policier accusé de violences sur ses enfants : «Réhabiliter un droit de correction parentale, c’est un bond en arrière de 70 ans»

La cour d’appel de Metz a relaxé ce jeudi 18 avril Yves M., un policier condamné en première instance à 18 mois d’emprisonnement avec sursis pour des violences sur sa famille. Me Jérôme Tiberi, avocat des parties civiles, dénonce une décision d’un autre temps.
Dans son arrêt, la cour d'appel de Metz estime qu'un «droit de correction est reconnu aux parents et autorise actuellement le juge pénal à renoncer à sanctionner les auteurs de violence dès lors que celles-ci n’ont pas causé un dommage à l’enfant, qu’elles restent proportionnées au manquement commis et qu’elles ne présentent pas de caractère humiliant». (Ute Grabowsky/Andia)
publié le 19 avril 2024 à 17h11

Yves M., un ancien major de la police aux frontières poursuivi pour des violences sur son ex-femme et ses enfants, a été relaxé jeudi 18 avril lors de son procès en appel à Metz. En juillet 2023, en première instance, le policier avait été condamné par le tribunal correctionnel de Thionville (Moselle) à dix-huit mois de prison avec sursis probatoire de deux ans ainsi que le retrait de l’autorité parentale.

Dans l’arrêt prononcé jeudi par la cour d’appel de Metz, consulté par Libération, il est précisé, qu’un «droit de correction est reconnu aux parents et autorise actuellement le juge pénal à renoncer à sanctionner les auteurs de violence dès lors que celles-ci n’ont pas causé un dommage à l’enfant, qu’elles restent proportionnées au manquement commis et qu’elles ne présentent pas de caractère humiliant». Aussi, les juges imputent les gestes dénoncés à «la personnalité décrite comme entière et forte» de Yves M.. Des formulations que conteste Me Jérôme Tiberi, avocat des deux enfants du policier, âgés aujourd’hui de 10 et 13 ans. Il annonce ce vendredi se pourvoir en cassation.

Vous vous dites «scandalisé» par l’arrêt rendu par la cour d’appel de Metz relaxant Yves M. Pourquoi ?

Cet arrêt est scandaleux à plusieurs titres. D’abord, on vient remettre en cause toutes les avancées qui ont été faites en matière de droit de l’enfant. On vient réhabiliter un droit de correction parentale. On vient aussi expliquer clairement que des enfants ont subi des actes de violences tels que des claques, des coups, des tirages de cheveux – mais que ces actes n’étaient pas gratuits car consécutifs à des bêtises, à des désobéissances, à des retards dans leurs devoirs –, et que cela justifie le fait de relaxer le père. Si nous n’étions pas face à des enfants, est-ce que l’on aurait tenu les mêmes propos et les mêmes discours ? Un enfant serait donc une sous-personne qui n’a pas de droit, qui n’a pas d’âme ? Nous avons avancé pour les droits des adultes, mais on régresse visiblement sur ceux des enfants.

Si j’avais reçu un arrêt comme ça en 1950, ça ne m’aurait pas surpris. Mais aujourd’hui, en 2024, ce n’est plus possible. Sinon, c’est la porte ouverte à tout. Dans un prochain arrêt, on va nous dire quoi ? Que l’on rétablit le droit de correction des maris sur leurs épouses ? Je ne comprends pas cette décision, qui intervient de plus sans explications supplémentaires. Pour moi, c’est un bond en arrière de soixante-dix ans.

Pourtant il y a eu une évolution législative sur le sujet

Ces dernières années, nous avons eu énormément d’avancées. La convention internationale des droits de l’enfant vient par exemple de plus en plus mettre en avant le droit des mineurs. Le code civil français a aussi été modifié en 2019, pour préciser que l’autorité parentale doit s’exercer «sans violence physique ou psychique». On a aussi tout un débat au niveau européen sur l’interdiction de la fessée, qui a été interdite en France en 2019.

Et par cette décision de justice, on nous dit en creux : «La fessée d’accord, à condition qu’elle soit en réponse à des actes faits par l’enfant.» Si moi, maintenant, j’ai un différend avec une personne et que je lui mets une claque, est-ce que l’on va dire que mon acte était justifié ? Non. Alors pourquoi est-ce que l’on vient dire aujourd’hui qu’on aurait davantage le droit de frapper un enfant qu’un adulte ? C’est ça que je trouve le plus fou. Les avancées législatives récentes avaient justement permis d’affirmer que les droits des enfants étaient égaux à ceux des adultes. Cette décision de justice va pourtant dans le sens contraire. Est-ce que ne pas faire ses devoirs justifie des violences ? Pour moi, non, mais visiblement c’est un oui pour la cour d’appel.

La cour d’appel de Metz mentionne qu’il «est reconnu à tout parent le droit d’user d’une force mesurée et appropriée à l’attitude et l’âge de leur enfant dans le cadre de leur obligation éducative sans pour autant être passibles de condamnations et sanctions pénales». Yves M. se défend aussi en expliquant avoir une éducation «stricte et rude»

Qu’est-ce qu’une éducation rude ? Frapper des enfants, ce n’est pas de l’éducation. On ne parle pas de «simple» fessée dans ce dossier, mais de coups de poing, d’étranglements, de tirage de cheveux. Les «violences éducatives», ça n’existe pas. L’éducation ne peut pas se faire dans la violence. Mais la cour d’appel explique qu’en matière pénale, on peut se laisser des libertés vis-à-vis de la modification de 2019 du code civil [relative à l’autorité parentale, ndlr].

Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation. Et c’est justement pour ce motif qu’un pourvoi en cassation a été formé. Dans un pourvoi, on ne rejuge pas le dossier en tant que tel, mais on regarde si le droit a été appliqué correctement. Et dans ce cas, à mon sens, le droit n’a pas été appliqué en bonne et due forme. Il ne s’agit pas d’un problème d’éléments matériels ou de preuves suffisantes [comme ça a été le cas pour justifier la relaxe concernant les faits autour de l’ex-épouse] mais exclusivement un problème d’application législative. La cour d’appel vient légitimer une décision par une explication qui n’en est pas une. Elle reconnaît les violences, et, dans le même temps, les légitime.