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Réponse aux émeutes urbaines : les parents sur le banc des accusés

Travaux d’intérêt général, «stages de responsabilité parentale», peine de «bannissement numérique»… Elisabeth Borne a présenté ce jeudi 27 octobre un éventail de mesures en accord avec la demande «d’ordre» d’Emmanuel Macron.
La Première ministre Elisabeth Borne, le 26 octobre à la Sorbonne. (Thomas Samson/AFP)
publié le 26 octobre 2023 à 17h12

La cheffe du gouvernement Elisabeth Borne a choisi le grand amphithéâtre de la Sorbonne, ce jeudi 26 octobre, pour présenter sa réponse aux émeutes déclenchées le 27 juin par la mort de Nahel M., 17 ans, tué par un tir policier à Nanterre. Pourquoi la Sorbonne, alors que le ministre de l’Education nationale n’est pas présent dans cette séquence axée sur le répressif plutôt que sur le préventif ? Et dans laquelle seules deux mesures concernent l’école : le doublement des heures d’enseignement moral et civique (EMC) dès la rentrée 2024, et la prise en charge intégrale des frais d’internat pour les boursiers ? «Ce choix n’a rien d’un hasard. La Sorbonne, c’est notre histoire. C’est l’éducation. C’est la jeunesse. Une jeunesse qui évolue dans une société où la violence est banalisée et les cadres flous», a justifié la Première ministre devant un parterre de 250 maires, sur les 500 concernés par les dégradations. En cette fin octobre, 60 % des bâtiments publics endommagés ont été remis en état et le gouvernement va porter son enveloppe pour la reconstruction à 100 millions d’euros, en complément de l’indemnisation des assurances, a annoncé Elisabeth Borne.

Pour le reste, la réponse est avant tout régalienne, guidée par un «refus total de l’impunité». Un discours qui fait écho à la demande d’ordre exprimée par les Français, selon les sondages, et relayée par le chef de l’Etat. «La leçon que j’en tire, c’est l’ordre, l’ordre, l’ordre», avait résumé Emmanuel Macron le 24 juillet, évoquant un besoin de «retour à l’autorité, à chaque niveau, et d’abord dans la famille».

Sur ce sujet, les tenants de la manière forte sont servis : même si n’ont pas été retenues les demandes visant à punir les parents des émeutiers en leur sucrant les allocations familiales ou en les expulsant de leur logement social, il est prévu d’aggraver la peine encourue en cas de délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales (article 227-17 du code pénal), en créant une circonstance aggravante «quand le délaissement du jeune a permis la commission de l’infraction», a expliqué le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, qui s’est dit soucieux pour autant de «ne pas ajouter du malheur à du malheur». La palette des peines sera élargie : les parents pourront désormais être condamnés à effectuer des travaux d’intérêt général (TIG) ou à des «stages de responsabilité parentale», en application de cet article du code pénal, qui n’est pas assez utilisé selon le ministre.

Des sanctions durcies contre les mineurs

Sur le volet responsabilité civile, la ministre des Solidarités, Aurore Bergé, va proposer au parlement de «changer la loi pour impliquer les deux parents», pour ne pas laisser les mères seules endosser toute la responsabilité, quand bien même le père serait absent. «Il y a un enjeu majeur de mise en responsabilité des deux parents», a dit la ministre, qui a promis en parallèle un grand «plan d’accompagnement à la parentalité.» L’étude de l’Inspection générale de l’administration (Igas) conduite cet été sur le profil des émeutiers, à partir des dossiers des 1 800 condamnations prononcées, a montré que 30 % étaient mineurs et 60 % issus de familles monoparentales ou de parents séparés.

Les sanctions contre les mineurs seront aussi durcies. Par exemple, en cas de non-respect de couvre-feu, l’amende passera à 750 euros, au lieu de 150. Et «dans certains cas, nous pouvons envisager un encadrement de jeunes délinquants par des militaires, qui pourront transmettre des valeurs de discipline et de dépassement de soi», a ajouté la Première ministre. Alors que les réseaux sociaux sont pointés du doigt pour leur rôle d’amplification des émeutes, une peine de «bannissement numérique» pourra être prononcée par le juge, pouvant aller jusqu’à six mois de suspension, a annoncé Jean-Noël Barrot, le ministre délégué à la Transition numérique, précisant que la mesure sera introduite dans la loi SREN (Sécuriser et réguler l’espace numérique) en cours d’examen au Parlement.

Sur le volet répressif, «à la demande des maires», l’exécutif veut muscler les compétences de la police municipale en permettant à ses agents d’accomplir des actes de police judiciaire. «Ces pouvoirs s’exerceront naturellement sous le contrôle des parquets», a voulu rassurer Elisabeth Borne. Tant pis si cette disposition, présente dans la loi Sécurité globale de 2021, avait été censurée par le Conseil constitutionnel : «Nous lancerons une concertation […] afin de bâtir un texte de loi.» Une mesure applaudie par la maire LR de Mulhouse, Michèle Lutz, pour qui «la police municipale est notre premier rempart».

Autre mesure phare (c’est le cas de le dire), le déploiement des Forces d’action républicaines (FAR). Besançon, Valence et Maubeuge seront les premières villes à en faire l’expérience, dès la fin de cette année. Explication de Matignon : «Si on a un problème de maintien de l’ordre, on dépêche des CRS ou des gendarmes mobiles, et une fois l’ordre rétabli, on associe les autres politiques publiques, dans le domaine de la justice, de l’éducation, de la santé, pour qu’elles établissent un diagnostic sur un quartier. En fonction des besoins, on déclenche des moyens supplémentaires.» Le tout s’inscrivant dans la «nouvelle stratégie de prévention de la délinquance» qui sera dévoilée en 2024, et passera aussi par «un nouveau plan national de lutte contre les stupéfiants», a annoncé Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur.

Un nouveau rendez-vous sur la «cohésion nationale»

Ce programme ne rassure pas forcément à gauche. «La prison, la caserne ou l’internat pour les jeunes et les amendes pour les parents : voilà ce qu’a proposé comme solution la Première ministre aux maires réunis à la Sorbonne», fustige Mélody Tonolli, adjointe écologiste à Paris chargée de la politique de la ville. «En résumé, pour répondre aux violences urbaines : il faut enfermer les jeunes et faire payer les parents. L’ordre républicain au détriment de la promesse républicaine», ajoute celle qui est aussi administratrice de l’association Ville & Banlieue.

Après «l’autorité» et «la réaffirmation de l’ordre républicain», «la cohésion nationale» : d’autres mesures, qui dépassent la réponse aux émeutes, seront annoncées vendredi 27 octobre dans la matinée lors d’un Comité interministériel des villes (CIV) à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), présidé par la Première ministre. La réunion avait été reportée à la dernière minute début octobre, officiellement pour ne pas stigmatiser les quartiers prioritaires. «La moitié des quartiers prioritaires ne sont pas concernés par ces violences, à l’inverse, un tiers des communes touchées ne sont pas dans le zonage QPV [quartiers prioritaires de la ville]», a de nouveau fait valoir Matignon jeudi.

Vendredi, on parlera donc logement, rénovation urbaine, cités éducatives, création d’entreprises, égalité des chances, avec les ministres non régaliens concernés, dont Gabriel Attal. Deux journées marathon qui verront tous les sujets couverts, sauf un : les relations police-population, notamment avec les jeunes. De la cause des émeutes de juin, qui n’auraient pas éclaté sans cet homicide policier, il n’en sera donc pas question dans cette séquence de «réponse aux émeutes».

Mise à jour à 18h54 : ajout de déclarations des ministres.