Trois jours, à trois voix, pour reconstituer méticuleusement le «puzzle» des attentats du 13 novembre 2015, qui ont fait 131 morts à Paris et Saint-Denis. Les représentants du Parquet national antiterroriste (Pnat), Camille Hennetier, Nicolas Braconnay et Nicolas Le Bris, ont achevé ce vendredi, leur long réquisitoire. Organisés de manière chronologique, les avocats généraux ont dans un premier temps détaillé la genèse du projet né en Syrie, le recrutement des «jihadistes aguerris» et les préparatifs, avant de se pencher sur la nuit des attaques et sur les jours de cavale qui ont suivi. Au cours de cet exposé précis, parfois aride, ils ont décortiqué les charges retenues à l’encontre des 20 accusés renvoyés devant la cour d’assises spécialement composée, dont six sont jugés en leur absence.
«L’engagement idéologique s’inscrit de façon centrale dans la personnalité des accusés, leur dangerosité et leur capacité à se réinsérer», a souligné Camille Hennetier ce vendredi. «Lorsqu’on nous dit que la charia se place au-dessus de la loi des hommes, lorsque la démocratie, la République sont jugées incompatibles avec leurs valeurs, quelle est la réalité d’un désengagement ?» a-t-elle ajouté. «Nous savons parfaitement que la prison n’est pas le gage d’un désengagement immédiat. Mais pour autant c’est la seule réponse sociale acceptable pour protéger la société», a-t-elle aussi précisé. Le verdict est attendu le 29 juin.
Salah Abdeslam, «resté jusqu’au bout fidèle à son idéologie»
La perpétuité a été requise à l’encontre de Salah Abdeslam, assortie d’une peine de sûreté incompressible, «au regard de l’immense gravité des faits qui lui sont reprochés». «Salah Abdeslam a livré une version tardive, après six ans de silence, en contradiction totale avec de nombreux points. Il a choisi son moment. Il a aussi choisi ses questions. Un jeu de dupe», a martelé Camille Hennetier, une des trois représentantes du Pnat. L’accusé le plus médiatique de ce procès est, selon le parquet, «resté convaincu de n’avoir tué personne : loin d’une pleine reconnaissance de son rôle majeur dans les attentats, il a adopté une posture de minimisation». «Malgré ses paroles, malgré ses larmes, il est resté fidèle à son idéologie et incapable de formuler un remords», a ajouté Camille Hennetier.
Mohamed Abrini, «s’est attaché à dédouaner Abdeslam à tout prix»
Le Pnat a requis la perpétuité à l’encontre du Belge Mohamed Abrini, assorti d’une période de sûreté de 22 ans et d’une interdiction définitive du territoire français. Ami d’enfance des frères Abdeslam, Mohamed Abrini, 37 ans a accompagné les commandos en région parisienne la veille des attentats. Il dit avoir renoncé à participer bien avant le 13 Novembre, et avoir été jusqu’à Paris juste pour dire adieu à ses amis. Une version qui n’est «pas crédible», selon le parquet. «Il n’a pas fait un pas de géant [au cours de l’audience] comme disent ses avocats, a souligné Camille Hennetier lors de son réquisitoire. Il a juste donné une version de son propre rôle qui collait avec les éléments du dossier sans les dépasser et a invoqué des troubles de la mémoire quand il s’agissait d’en savoir plus sur les détails.» Il n’empêche que, selon le Pnat, le rôle d’Abrini reste «moins important» que celui de Salah Abdeslam, qu’il s’est «attaché à dédouaner à tout prix».
Mohamed Bakkali, «cheville ouvrière de la cellule»
La réclusion criminelle a perpétuité a été requise à l’encontre de Mohamed Bakkali, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans et d’une interdiction définitive du territoire français. Considéré comme un des logisticiens du commando, le Belge Mohamed Bakkali, 35 ans, est accusé d’avoir loué des voitures en vue des attentats. «Déjà connu en 2012 comme salafiste notoire, il est la cheville ouvrière de la cellule, présent dans toutes les grandes étapes de la préparation des attentats», a insisté vendredi l’avocate générale Camille Hennetier, avant d’énoncer la peine requise à son encontre. Nicolas Braconnay avait déjà développé jeudi son «rôle central dans cette tectonique des planques».
Sofien Ayari
A l’encontre de Sofien Ayari, le Pnat a requis la perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 30 ans et d’une interdiction de territoire français. Le Tunisien, 28 ans, a été le compagnon de cavale de Salah Abdeslam en Belgique après les attentats. «Sofien Ayari est intelligent, son français est parfait et il a voulu donner à son discours une coloration plus politique que religieuse. Il a sans cesse relativisé, contextualisé l’horreur des attentats», a souligné Camille Hennetier. Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir voulu commettre ou préparer, avec Osama Krayem, un attentat à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol le soir des attaques parisiennes. «Salah Abdeslam est souvent présenté comme le seul survivant du commando du 13 Novembre. Du commando français, oui. Mais Osama Krayem et Sofien Ayari sont eux aussi deux survivants du commando néerlandais», a insisté jeudi l’avocat général Nicolas Le Bris.
Osama Krayem
Au cours du procès, le Suédois âgé de 29 ans a, la plupart du temps, refusé de comparaître. Le Parquet national antiterroriste a demandé à la cour de le condamner à une peine de réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 30 ans. «On ne peut pas interpréter le silence d’Osama Krayem et Sofien Ayari autrement que comme un mépris pour votre cour, surtout de la part de deux hommes qui, dans le box, sont ceux qui en savent le plus sur la cellule», a insisté l’avocate générale Camille Hennetier.
Ali El Haddad Asufi, «l’homme de confiance, le premier cercle d’El Bakraoui»
Seize ans de prison à l’encontre d’Ali El Haddad Asufi ont été requis avec une peine de sûreté des deux tiers. Le Belgo-Marocain de 36 ans, est notamment accusé d’avoir tenté de se procurer des armes aux Pays-Bas avec son ami Ibrahim El Bakraoui, un des kamikazes des attentats de Bruxelles qui est aussi soupçonné d’être un des logisticiens du 13 Novembre. Il lui est reproché la participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle, pour laquelle il encourait jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle.
Adel Haddadi et Muhammad Usman, «il est clair qu’ils auraient dû faire partie des commandos»
A l’encontre d’Adel Haddadi et Muhammad Usman, le Pnat a requis 20 ans de réclusion criminelle, assortie d’une peine de sûreté des deux tiers, soit la peine maximale encourue. «L’intégration d’Adel Haddadi et Muhammad Usman dans l’Etat islamique ne fait aucun doute, pas plus que leur recrutement pour être envoyé en Europe dans le but de commettre un attentat», a souligné Camille Hennetier. Les deux hommes ont été tous deux interpellés en décembre 2015 dans un foyer de migrants en Autriche, mais «ils auraient dû faire partie des commandos et mourir à Paris […] ils se sont obstinés à continuer la route ensemble pour atteindre leur but alors qu’ils auraient pu fuir». L’Algérien Adel Haddadi, 34 ans, et le Pakistanais Muhammad Usman, 29 ans, avaient quitté la Syrie et rejoint l’Europe par la route des migrants avec deux kamikazes du Stade de France. Il leur est reproché la participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Yassine Atar, n’est «pas la victime expiatoire d’un système judiciaire aux abois aveuglé par son patronyme»
Contre Yassine Atar, le Parquet national antiterroriste a requis une peine de 9 ans d’emprisonnement, assortie d’une peine de sûreté des deux tiers. Il a déjà effectué quatre ans de détention provisoire. Frère d’Oussama Atar, le commanditaire présumé des attentats jugé par défaut, le Belge Yassine Atar, 35 ans, a rencontré Khalid El Bakraoui et Mohamed Bakkali, tous deux impliqués dans la préparation des attentats, à Bruxelles, la veille des attentats. Il lui est reproché la participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle, infraction pour laquelle il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. «Chacun aura ici remarqué qu’il essaie de mettre à distance ce grand frère dont l’ombre encombrante pèse sur lui», a déclaré l’avocat général Nicolas Braconnay au premier jour du réquisitoire. «Cette crainte, celle d’être un coupable de substitution, est évidemment légitime. Et il serait malhonnête de nier que ses liens de parenté ont joué, dans l’intérêt des enquêteurs», a-t-il reconnu avant d’ajouter : «Sur ce point, Yassine Atar peut être rassuré sur les intentions de l’accusation. Là où notre accord avec Yassine Atar cesse, c’est qu’en refusant d’être un coupable par substitution, il refuse d’être un coupable tout court.»
Hamza Attou, une des «petites mains» des «pires attentats commis en France»
A l’encontre d’Hamza Attou, le Pnat a requis 6 ans de prison avec mandat de dépôt «à effet différé», soit la peine maximale prévue pour recel de terroriste. Le Belge fait partie des trois accusés qui comparaissent libres sous contrôle judiciaire. Il a accompagné Mohammed Amri pour chercher Salah Abdeslam à Paris le soir des attentats.
Ali Oulkadi, «a montré sa prise de conscience du climat délétère aux Béguines»
Le Pnat a demandé cinq ans de prison sans mandat de dépôt pour Ali Oulkadi. Ancien ami de Brahim Abdeslam qu’il côtoyait au café des Béguines, dans le quartier de Molenbeek à Bruxelles, il est accusé d’avoir assisté Salah Abdeslam à Bruxelles, au lendemain des attentats du 13 Novembre à Paris et Saint-Denis. Ce Français de 37 ans comparaît libre, sous contrôle judiciaire. Il lui est reproché deux infractions pour lesquelles il encourt jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle : participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle, recel de terroriste en relation avec une entreprise terroriste.
Abdellah Chouaa
Six ans de prison avec mandat de dépôt «à effet différé», peine non aménageable assortie de 10 ans d’interdiction du territoire français, ont été requis à l’encontre d’Abdellah Chouaa. C’est l’un des trois accusés qui comparaissent libres sous contrôle judiciaire. Il a notamment était le chauffeur de Mohamed Abrini entre la France et la Belgique alors que ce dernier se rendait en Syrie. «Abdellah Chouaa ne pouvait ignorer la radicalisation de son ami», a insisté l’avocat général Nicolas Le Bris ce jeudi. Mohamed Abrini voulait être «accompagné par des gens de confiance», a-t-il ajouté. Abdellah Chouaa, Belge de 41 ans, encourt vingt ans de réclusion criminelle pour participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Mohammed Amri
Le Pnat a demandé à la cour d’assises spécialement composée de condamner à huit ans de prison Mohammed Amri et de prononcer une interdiction de territoire français pendant dix ans. Le Belgo-Marocain de 33 ans a reconnu être allé chercher Salah Abdeslam en voiture le soir des attentats pour le ramener en Belgique. Il lui est reproché deux infractions pour lesquelles il encourt vingt ans de réclusion criminelle : participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle et recel de terroriste en relation avec une entreprise terroriste.
Farid Kharkhach, «le coup de main ponctuel»
Six ans de prison ont été requis par les avocats généraux à l’encontre de Farid Kharkhach. Ce Belgo-Marocain de 39 ans est accusé d’avoir fourni des faux papiers à la cellule franco-belge impliquée dans les attentats, à la demande de Khalid El Bakraoui, un des auteurs des attentats de Bruxelles. «Nul ne prétend qu’il a agi par adhésion ou fascination mais par lâcheté et cupidité. Il a accepté le risque d’être associé à un projet terroriste pour quelques centaines d’euros», a affirmé jeudi Nicolas Braconnay. Farid Kharkhach encourt vingt ans de réclusion criminelle pour participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Les accusés jugés en leur absence
La réclusion criminelle a perpétuité est requise contre Oussama Atar, Obeida Arif Dibo, Omar Darif, Fabien et Jean-Michel Clain. Oussama Atar, probablement tué par une frappe occidentale en zone irako-syrienne en novembre 2017, Ahmad Alkhald (pouvant être Omar Darif) tué dans un raid aérien en juillet 2017, Fabien et Jean-Michel Clain, tués en février ou mars 2019 dans une frappe aérienne en Syrie, et Obeida Aref Dibo, mort dans un bombardement en février 2016. La justice n’a pas la preuve formelle de leur décès. «S’agissant des absents, à savoir les commanditaires et complices restés sur zones et dont les décès ne font l’objet d’aucune certitude, la condamnation est d’abord une mesure de prudence», a expliqué Camille Hennetier.