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Libération
Secret défense

Révélations de «Disclose» sur une opération de l’armée française en Egypte : un ingénieur militaire convoqué devant la justice

Présenté comme la source à l’origine de l’enquête du média d’investigation, l’ancien fonctionnaire de l’armée sera jugé en mai 2026. Il encourt une peine de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

Un rassemblement place de la République à Paris, le 20 septembre 2023, en soutien à la journaliste Ariane Lavrilleux du média Disclose. (Valérie Dubois/Hans Lucas)
Publié le 23/10/2025 à 11h22, mis à jour le 23/10/2025 à 12h09

Une comparution pour «compromission du secret de la défense nationale». Une juge d’instruction parisienne a ordonné un procès à l’encontre d’un ex-ingénieur militaire, soupçonné d’avoir aidé à révéler un possible détournement par l’Egypte d’une opération de renseignement française, a appris l’AFP ce jeudi de sources proches du dossier. Les informations qu’il aurait communiquées figurent dans une enquête du média en ligne Disclose, portant sur l’opération militaire Sirli. Sollicité par l’AFP, le parquet de Paris a confirmé le renvoi dans ce dossier ; il a toutefois indiqué qu’un appel du ministère public avait été formé lundi contre cette ordonnance.

Le prévenu, dont le procès est prévu le 21 mai 2026, conteste toute infraction. «Cette décision sanctionne moins des faits établis qu’une probabilité construite : l’art de tenir pour vrai ce qui est simplement possible, dénonce l’avocate du prévenu, Me Margaux van der Have. Le parquet a lui-même écarté toute compromission du secret de la défense nationale, reconnaissant l’inconsistance des charges.» L’ex-militaire convoqué devant la justice avait été mis en examen en 2023, et placé sous contrôle judiciaire.

«Pures spéculations» et «biais sexiste»

Selon une source proche du dossier, la juge justifie le renvoi par les fonctions de l’ingénieur militaire, qui lui auraient donné connaissance des détails de l’opération Sirli. Elle évoque la relation intime qu’il aurait entretenue avec l’une des journalistes coautrice de l’article, Ariane Lavrilleux, et avance un possible mobile : son partage des critiques formées par cette dernière quant à la coopération militaire franco égyptienne. Il encourt une peine de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

Pour l’avocat d’Ariane Lavrilleux, la journaliste à l’origine de ces révélations, «le renvoi du militaire est basé sur de pures spéculations» et sur «un biais sexiste. Ce n’est pas parce qu’il y a une relation que l’intéressé a donné des éléments», indique Me Christophe Bigot.

Un traitement «inadmissible»

Ariane Lavrilleux avait elle aussi été accusée de «compromission du secret de la défense nationale» et «révélation d’information pouvant conduire à identifier un agent protégé». Perquisitionnée et placée en garde à vue en 2023, avait finalement échappé début 2025 à une mise en examen, et ne sera donc pas jugée.

«Avec Disclose, nous sommes disculpés après des années d’enquête. C’est un soulagement et même une victoire», avait salué à l’occasion la journaliste, qui voit toutefois une «contradiction entre cette reconnaissance de l’intérêt général de l’enquête» et son «traitement inadmissible par les services de renseignement», avec «la géolocalisation de [son] téléphone» ou le fait qu’elle a été suivie, jusque «dans le tramway». Une surveillance accrue, alors que «rien dans le dossier» «ne permet d’affirmer qu’une source m’a transmis des informations», avait dénoncé Ariane Lavrilleux.

«Cette atteinte grave à la liberté d’informer se conclut sur un échec de la justice à identifier toute source», estime Mathias Destal, cofondateur de Disclose. Placée en garde à vue durant quarante-huit heures, la détention d’Ariane Lavrilleux avait vivement fait réagir autour de la notion de secret des sources, garantie par la loi et censée protéger la liberté de la presse.

Un cadre légal «abusé ou contourné»

Le cadre légal en vigueur avec la loi Dati de 2010 sur la protection des sources est «insuffisamment protecteur» et «est désormais abusé ou contourné», avaient plaidé dans une lettre au gouvernement une centaine d’organisations dont l’ONG Reporters sans frontières (RSF) ou des syndicats professionnels au moment de l’affaire.

En parallèle du dossier, la ministre de la Culture Rachida Dati s’était engagée début 2025 à renforcer la protection des sources. Depuis, elle s’en est prise frontalement à plusieurs journalistes, y compris sur le terrain judiciaire, pour leurs révélations sur des affaires judiciaires la concernant ou sur de supposées irrégularités dans ses déclarations de patrimoine.

Mise à jour à 12 h 10 avec davantage d’éléments de contexte et les réactions des avocats de l’ex-ingénieur militaire et d’Ariane Lavrilleux.