«Rien n’est définitivement gagné», faisait savoir à Libé une source policière en fin de semaine dernière. En effet. Un homme de 20 ans a été tué par balles un jour plus tard, dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 juin, près d’un point de deal du quartier des Grands-Carmes (centre-ville de Marseille), a indiqué dimanche le parquet de la ville. «Il s’agit d’un narchomicide [homicide lié au trafic de drogue, ndlr]», confirme le procureur de la République Nicolas Bessone. Le sixième recensé en 2024 dans Marseille, selon le parquet. D’après cette même source, 24 assassinats liés au trafic de stupéfiants étaient recensés l’année dernière à la même époque, soit une baisse de 75 %. «Si la tendance se poursuit, on sera à un des plus bas niveaux historiques», explique le procureur. Selon lui, le calme – relatif – du moment a permis «d’engager un travail de fond», pour «remonter» les réseaux et «engager un cercle vertueux». Il se veut néanmoins extrêmement prudent : «La moyenne est de 20 à 30 narchomicides par an et l’année dernière a été particulièrement sanglante.»
Reportage
L’année 2023 a en effet été extrêmement meurtrière à Marseille : 49 personnes ont été tuées en lien avec le trafic de drogue – contre 26 en 2021 et 33 en 2022, selon un décompte du parquet de Marseille. Deux gangs rivaux, la DZ Mafia et le clan Yoda, étaient alors entrés dans une guerre pour le contrôle des points de deal de la cité de la Paternelle (XIVe arrondissement) – l’une des plus lucratives du trafic marseillais.
Le conflit serait à l’origine de près de 80 % de ces narchomicides. «On avait plusieurs clans qui essayaient de reconquérir des territoires. Dans ce cas, on se retrouve automatiquement dans une situation où les narcotrafiquants procèdent à des règlements de comptes pour montrer leur supériorité», analyse aujourd’hui Isvar Sattiaradjou (Unsa police).
Des actions policières et judiciaires
Selon Jérôme Pierrat, spécialiste du grand banditisme et auteur du documentaire Génération Kalach, l’effondrement du nombre d’homicides sur les six premiers mois de 2024 s’explique par la fin du conflit entre les deux organisations criminelles. «Cette année est particulièrement calme, on est largement en dessous du nombre d’homicides habituels, explique-t-il. C’est une forme de retour à la raison après la folie. [Ce conflit] est allé tellement loin dans la furie meurtrière que ça a calmé beaucoup de monde.»
Car faire la guerre coûte cher, autant sur le plan humain que financier : «S’ils ont arrêté le conflit, c’est aussi, un peu, faute de combattants […] quand on en arrive à des dizaines de morts de chaque côté pour des histoires de terrain, le conflit se stoppe de lui-même», détaille Jérôme Pierrat. Et d’ajouter : «C’était devenu contre-productif. Quand vous faites la guerre, vous ne faites plus de business, vous ne gagnez plus d’argent, ça attire les médias, la police et ça fait fuir les clients.»
Interview
Depuis novembre, le rythme de ces assassinats a considérablement ralenti. Selon le procureur de la République de Marseille, le travail de la police judiciaire, des juges d’instruction et de ceux du parquet a notamment permis «l’interpellation et l’incarcération de commandos de tueurs». Des sources policières avancent que des mesures ont été prises pour éviter que des assassinats ne soient commandités depuis l’intérieur des prisons. Le chef présumé du clan Yoda, Félix Bingui, a par ailleurs été interpellé au Maroc au printemps 2024, et le gouvernement a lancé une série de très médiatiques opérations «place nette XXL».
«Les stratégies de pilonnage et les opérations “place nette” qui ont été mises en place permettent de quadriller le secteur. La présence policière sur certains points de deal de manière permanente, comme ça a été le cas à la cité de la Castellane ou à la cité de la Paternelle, a évité des passages à l’acte», avance Eddy Sid, délégué Unité SGP Marseille. Selon lui, si «rien n’est définitivement gagné», cette stratégie du «pilonnage» continue «de manière quasi hebdomadaire» et contribue au retour à «une situation de quasi-normalité» en matière de narchomicides.
«A partir du moment où il y a de la stabilité, il n’y a pas d’homicide»
«Il ne faut pas se fier aux chiffres, tempère de son côté Isvar Sattiaradjou. On peut dire ce qu’on veut des statistiques. Il suffit qu’on ait une déstabilisation des différents réseaux cet été et c’est reparti. Les six homicides répertoriés depuis le début de l’année ne sont pas un indicateur fiable sur le fait que le phénomène est endigué.» Selon lui, les réseaux de trafiquant se sont «stabilisés» depuis plusieurs mois : «A partir du moment où il y a de la stabilité, il n’y a pas d’homicide.» Autrement dit, ni guerre de clan ni guerre de territoire. «Il est dangereux aujourd’hui de croire que le combat est gagné. On est seulement à la moitié de l’année, il n’est pas dit qu’une OPA violente se décide cet été, d’un côté ou de l’autre», continue le policier.
«L’action policière seule n’a pas éteint le conflit, abonde Jérôme Pierrat. Il y a un alignement des planètes entre les conflits qui se calment, la présence policière du moment.» D’après le spécialiste, «ça reprendra, c’est sûr». Une source policière s’interroge : «La cité de la Paternelle a été plus ou moins nettoyée, mais jusqu’à quand ?»