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Justice

Procès du «financement libyen» : Sarkozy, Guéant, Hortefeux condamnés, Woerth relaxé… le détail du jugement

Au terme d’un procès historique, la décision du tribunal correctionnel de Paris a été rendue ce jeudi 25 septembre. L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy sera incarcéré, tandis que Brice Hortefeux sera placé sous bracelet électronique.

Eric Woerth et Claude Guéant au tribunal correctionnel de Paris, le 6 janvier 2025. (Denis Allard/Libération)
ParLaurent Léger
Grand reporter - Enquêtes
Renaud Lecadre
Journaliste - Enquêtes
Ismaël Halissat
Publié le 25/09/2025 à 7h41, mis à jour le 25/09/2025 à 11h33

En préambule de son réquisitoire, en avril, le procureur national financier tançait un «pacte de corruption faustien avec un des dictateurs les plus infréquentables de ces trente dernières années». Et, en épilogue, dénonçait le «tableau très sombre d’une partie de notre République». Principal prévenu du procès dit du «financement libyen», dont les audiences se sont déroulées de janvier à avril, l’ancien président Nicolas Sarkozy a clamé jour après jour son innocence face aux questions piquantes des magistrats. La décision du tribunal correctionnel de Paris a été rendue ce jeudi 25 septembre. Rappel des charges qui pesaient contre les douze prévenus et des peines prononcées.

Nicolas Sarkozy

Ce qu’il encourait

L’ancien chef de l’Etat a été le personnage principal de ce procès hors norme. Par son statut, bien sûr, par sa verve, sans doute, mais surtout parce qu’il était suspecté d’être le principal bénéficiaire d’un pacte corruptif scellé pour trouver des fonds occultes pour sa campagne présidentielle de 2007. La figure tutélaire de la droite française, dont l’influence est toujours majeure à 70 ans, déjà condamné définitivement à un an de prison ferme dans le dossier dit «Bismuth», encourait dans cette affaire une peine de dix ans de prison. Au cours du procès, toujours animé d’une énergie débordante, Nicolas Sarkozy, a clamé son innocence. La minutieuse exploration des flux financiers a ébranlé sa défense. L’ancien chef de l’Etat a aussi assisté, impuissant, au naufrage de Claude Guéant et Brice Hortefeux. Le Parquet national financier (PNF), convaincu du rôle majeur de l’ex-président dans cette affaire, avait requis la peine la plus lourde à son encontre : sept ans de prison, une amende de 300 000 euros, cinq ans d’inéligibilité, d’interdiction des droits civiques et d’exercer une fonction juridictionnelle.

La décision du tribunal

La présidente du tribunal, Nathalie Gavarino, a expliqué qu’il était coupable d’association de malfaiteurs pour avoir «laissé ses proches collaborateurs […] agir en vue d’obtenir des soutiens financiers» de la part du régime libyen. Mais il a été relaxé des faits de corruption qui lui étaient reprochés. Pour les faits dont il est reconnu coupable, Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt à effet différé, assorti de l’exécution provisoire. Cela signifie qu’il sera convoqué sous un délai d’un mois par le parquet qui lui signifiera sa date d’incarcération. Un appel éventuel ne suspendra pas cette mesure de sûreté.

Claude Guéant

Ce qu’il encourait

Pour Claude Guéant, «haut fonctionnaire, à la carrière préfectorale en apparence exemplaire» dixit le PNF, l’audience aura été un long, très long calvaire. Le plus proche de Nicolas Sarkozy, qui encourait une peine de dix ans de prison, a traversé le procès dans la souffrance. Affaibli par ses 80 ans et la maladie, l’ancien secrétaire général de l’Elysée était astreint à des interrogatoires limités à une heure qu’il effectuait sur une chaise, le micro plié vers lui. Celui qui a également été ministre de l’Intérieur s’est empêtré dans de ridicules explications pour expliquer sa rencontre secrète – qu’il dit fortuite – avec Abdallah Senoussi, considéré comme le numéro 2 du régime libyen à l’époque et visé par un mandat d’arrêt après sa condamnation à la perpétuité pour son rôle dans l’attentat du DC-10 d’UTA. Et contrairement à Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, Claude Guéant a dû également affronter les questions des magistrats sur un possible enrichissement personnel par des fonds libyens. Le PNF avait requis à son encontre six ans de prison, une amende de 100 000 euros, la confiscation de l’appartement dont l’accusation estime qu’il a été acquis grâce à 500 000 euros d’argent libyen, et cinq ans d’interdiction des droits civiques et d’inéligibilité.

La décision du tribunal

Il a été reconnu coupable de faux, blanchiment aggravé, de trafic d’influence passive en sa qualité de secrétaire général de la présidence de la République, de corruption passive de 2007 à 2009 pour avoir accepté la somme de 500 000 euros, et d’association de malfaiteurs, en tant que directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur. Il écope d’une peine de six ans d’emprisonnement. Le tribunal n’a pas prononcé de mandat de dépôt contre l’octogénaire, en raison de son état de santé.

Brice Hortefeux

Ce qu’il encourait

Ce qui valait à Brice Hortefeux de comparaître devant la justice et d’encourir une peine de dix ans de prison s’est déroulé en quelques heures, un jour de décembre 2005. L’accusation suspectait l’ancien ministre de l’Intérieur, ami le plus intime de Nicolas Sarkozy, d’avoir scellé le pacte corruptif avec le régime libyen lors d’une rencontre – qu’il dit lui aussi fortuite – avec Abdallah Senoussi, à Tripoli. Tout comme Claude Guéant, Brice Hortefeux s’est englué dans de farfelues explications pour justifier cette entrevue. Le PNF avait requis à son encontre trois ans de prison, une amende de 150 000 euros et cinq ans d’interdiction des droits civiques et d’inéligibilité.

La décision du tribunal

Brice Hortefeux a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs. Il écope de deux ans d’emprisonnement, une peine aménageable sous bracelet électronique à domicile, et assortie de l’exécution provisoire, c’est-à-dire applicable même en cas d’appel.

Alexandre Djouhri

Ce qu’il encourait

Cet ancien «bad boy» de Sarcelles (Val-d’Oise) est devenu avec les années un proche de Nicolas Sarkozy, qu’il tutoie, et de l’argentier du régime de Kadhafi, Bechir Saleh, dont il a aidé l’exfiltration de France, probablement pour le soustraire à la justice. Il était suspecté d’avoir joué un rôle actif dans la redistribution de fonds libyens, notamment au profit de Claude Guéant. S’il risquait théoriquement dix ans de prison, le PNF avait requis cinq ans de détention et 4 millions d’euros d’amende.

La décision du tribunal

Alexandre Djhouri est relaxé des faits de faux et usage de faux, documents destinés à justifier la vente des tableaux. Il est relaxé de la complicité et du recel de détournement de fonds publics reprochés à Bechir Saleh. Mais il a été déclaré coupable de blanchiment aggravé qui concernent les biens de Claude Guéant, de corruption active de Claude Guéant, de trafic d’influence actif, de corruption active au bénéfice de Béchir Saleh ayant pris en charge ses frais de séjour au Ritz. Il est également déclaré coupable d’association de malfaiteurs depuis 2005 et jusqu’au 21 juillet 2008. Pour ces faits, il a été condamné à 6 ans de prison avec mandat de dépôt, ce qui signifie qu’il sera incarcéré.

Béchir Saleh

Ce qu’il encourait

Il était l’un des grands absents de ce procès. Béchir Saleh, ancien directeur de cabinet de Muammar al-Kadhafi, est suspecté d’avoir supervisé les transferts de fonds libyens. Son exfiltration précipitée de France en 2012, quelques jours après la publication par Mediapart d’une note évoquant son rôle dans le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, a été explorée par le tribunal. Il encourait une peine de dix ans de prison. Le ministère public avait requis une peine de six ans de prison et une amende de 4 millions d’euros.

La décision du tribunal

L’homme, absent à l’audience, a été condamné à cinq ans de prison, une amende de 4 millions d’euros, ainsi qu’une peine d’interdiction de diriger pendant 15 ans, avec exécution provisoire. Il est visé par un mandat d’arrêt.

Wahib Nacer

Ce qu’il encourait

Natif de Djibouti, banquier retraité particulièrement proche d’Alexandre Djouhri, est l’un des hommes clés de l’affaire. Nacer était soupçonné d’avoir agi pour le compte de ce dernier, afin d’opacifier certains paiements sur lesquels il avait la main grâce à des flux détournés de comptes de milliardaires saoudiens, les Bugshan. Il aurait été ainsi l’une des petites mains dans le cadre des financements effectués par Djouhri. L’accusation avait requis contre lui quatre ans de prison et un million d’euros d’amende.

La décision du tribunal

Il a été relaxé partiellement de divers délits, mais déclaré coupable de blanchiment aggravé. L’homme a été condamné à quatre ans de prison, 2 millions d’euros d’amende, une interdiction de gestion d’entreprise pendant cinq ans, assortie d’une exécution provisoire et d’un mandat de dépot.

Eric Woerth

Ce qu’il encourait

L’ancien ministre du Budget, actuel député de l’Oise, était poursuivi pour complicité de financement de campagne électorale et risquait une peine minime par rapport aux autres prévenus. En 2007, c’est lui qui présidait l’Association pour le financement de Nicolas Sarkozy. En cause, la distribution aux équipes de primes en liquide, pour 35 000 euros, à la fin de la campagne. Des fonds non déclarés dans les comptes de campagne. L’argent provenait selon lui de dons anonymes envoyés par la Poste. Le PNF, qui ne l’a pas cru, avait requis un an de prison contre lui et 3 750 euros d’amende.

La décision du tribunal

Eric Woerth a été relaxé.

Edouard Ullmo

Ce qu’il encourait

Ancien dirigeant d’EADS, il était mis en cause pour la vente, en 2006, de douze avions Airbus à la Libye. C’est le versement au passage d’une commission de 2 millions d’euros à l’intermédiaire Alexandre Djouhri qui est en cause. Outre l’association de malfaiteurs, il était poursuivi pour corruption d’agent public étranger. L’accusation avait réclamé à son encontre trois ans de prison dont deux avec sursis et 375 000 euros d’amende.

La décision du tribunal

Edouard Ullmo a été relaxé.

Ahmed et Khalid Bugshan

Ce qu’ils encouraient

Les nombreux comptes bancaires de ces deux cousins, riches hommes d’affaires saoudiens, avaient servi à surpayer la villa de Mougins d’Alexandre Djouhri en mars 2008 (pour Ahmed) et les tableaux flamands de Claude Guéant en 2009 (pour Khalid). Mais les fonds seraient d’origine libyenne, ne faisant que transiter par eux. Trois ans de prison dont un avec sursis et 4 millions d’euros d’amende avaient été requis contre Khalid Bugshan, et deux ans de prison dont un avec sursis et 4 millions d’euros d’amende contre Ahmed Salem Bugshan.

La décision du tribunal

Ahmed Busgan est relaxé. Khalid Busghan est condamné pour blanchiment aggravé, reconnu coupable d’association de malfaiteurs de 2005 au 21 juillet 2008. L’homme écope de 3 ans de prison, une amende de 4 millions d’euros, et une interdiction de gérer une entreprise pendant 10 ans avec exécution provisoire. Il est visé par un mandat d’arrêt.

Thierry Gaubert

Ce qu’il encourait

Ancien proche collaborateur de Nicolas Sarkozy à Neuilly et à Bercy, reconverti banquier au sein des Caisses d’Epargne, il était poursuivi pour avoir reçu, en février 2006, 440 000 euros de Ziad Takieddine, qui venait lui-même d’être arrosé par des fonds libyens. Pour financer une villa en Colombie, a plaidé celui qui a été condamné dans l’affaire Karachi. Le PNF avait requis trois ans de prison, 150 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité.

La décision du tribunal

Thierry Gaubert a été relaxé.

Ziad Takieddine

Ses déclarations ont varié, mais pas ses écrits et ses archives exploitées pendant l’enquête et longuement évoquées lors du procès. Mort mardi 23 septembre, deux jours avant le délibéré de l’affaire, l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, intermédiaire dans de gros contrats d’armement et proche de la droite, avait été jugé par défaut pour avoir été l’un des pivots du financement libyen, notamment par sa proximité avec l’ex-chef des services secrets de Tripoli. Le tribunal a constaté l’extinction des poursuites à son encontre.

Mis à jour : à 13 h 35 avec les décisions du tribunal.