Il est 6 h 30, ce 18 octobre 2021. Des policiers sonnent chez David Layani, au cinquième étage d’un immeuble doré sur tranche du Trocadéro, à Paris, après avoir par erreur réveillé sa mère qui réside au premier. Garde à vue, perquisition, boîte mail siphonnée : le PDG de Onepoint, groupe de conseil dans le numérique affichant 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, 161e fortune française selon Challenges, est happé par le tourbillon des affaires judiciaires visant Nicolas Sarkozy. Principalement celle qui, deux ans plus tard, ce mardi 3 octobre, a valu à l’ancien président d’être convoqué par des juges en vue d’être mis en examen ou placé sous le statut de témoin assisté. Sarkozy est soupçonné d’avoir validé, ou au moins laissé faire, l’opération «Sauver Sarko», une éventuelle escroquerie à la justice destinée à le réhabiliter dans son affaire dite du financement libyen, ce qu’il a déjà contesté dans une audition libre, révélée par Libération, en juin. A l’heure actuelle, la décision des magistrats n’était pas connue.
C’est le changement de version spectaculaire d’un des principaux accusateurs de Sarkozy, dans Paris Match et sur BFM TV, en novembre 2020, dédouanant l’ex-président des soupçons de financement occulte par la Libye, qui plombe David Layani. La justice soupçonne que les nouveaux propos de l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine auraient pu être tenus en échange de promesses financières émanant d’une équipe de personnages plus ou moins troubles, dont la papesse de la presse people, Mimi Marchand, ce qu’elle dément. Les juges incluent désormais l’entrepreneur chouchou du pouvoir dans cette piteuse aventure.
Des déclarations fumeuses ?
Pour la justice, il s‘agit d’une «subornation de témoin» dont Layani serait «complice», d’une «escroquerie en bande organisée» – ses deux chefs de mise en examen – destinée à tromper la justice. Le PDG de Onepoint est suspecté d’avoir financé l’opération à hauteur de 72 000 euros. L’un des hommes clés de la manip a assuré aux enquêteurs que Layani lui aurait demandé de chiffrer le coût de l’expédition et qu’il aurait surtout accepté de la financer.
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Des déclarations fumeuses ? Ce qui intrigue la justice, c’est que début décembre 2020, alors que les protagonistes de l’affaire semblent se démener pour trouver les fonds nécessaires à un voyage au Liban, où Takieddine a fui la justice française, Layani signe un contrat de communication avec l’agence de Mimi Marchand. Il règle d’office six mois à l’avance, sans qu’une seule prestation n’ait été fournie – il faudra que la justice s’y intéresse pour que soit réclamée à l’agence l’exécution de son contrat. L’objectif était d’aller au Liban pour obtenir de Takieddine de nouvelles déclarations, par écrit cette fois.
Les enquêteurs ont noté les rendez-vous de Layani (du type dix minutes au pied de son immeuble, à minuit…) avec plusieurs personnages clés du dossier, les coups de fil et messages échangés avec eux. Ces derniers se parlent et s’échauffent les uns les autres, évoquant le fait que Sarkozy (toujours désigné par un nom de code) risque de «stopper Layani», que «David» doit rassurer l’ancien chef de l’Etat, ou que cette affaire ressemble sacrément à une «bombe». Alors que l’expédition libanaise semble rencontrer des obstacles, Mimi Marchand envoie un SMS rageur, expliquant que «Zébulon» (elle a affublé l’ex-président de ce surnom) «ne va jamais y croire», menaçant de renvoyer «l’argent à David»… Des éléments qui suggèrent que le contrat signé avec Marchand n’aurait été qu’un habillage masquant un versement destiné à un tout autre objectif que l’image du PDG. Tous deux le contestent.
Comme un bleu
Le jour de sa perquisition, autorisé à prendre une douche avant la rude journée qui l’attend, isolé dans sa salle de bains, David Layani aurait, selon les procès-verbaux consultés par Libération, profité à 7h34 du fait qu’il avait gardé son téléphone pour tenter d’appeler Sarkozy. En vain. Un sacré «sens du timing», ironisent les policiers, qui n’avaient pas encore saisi son mobile. Ses avocats contestent formellement l’existence de ce coup de fil intempestif et évoquent une «erreur de manipulation» d’un policier. L’enquête devra éclaircir ce point litigieux.
Mais qu’est-ce que David Layani est allé faire dans cette galère ? Devant ses proches, il reconnaît s’être fait avoir comme un bleu. «Les investigations ont démontré que David Layani ignorait tout de cette affaire, estime l’un de ses avocats, Mathias Chichportich. Le dossier établit également que le voyage au Liban n’a pas été financé par les fonds versés dans le cadre du contrat, et que son nom n’a cessé d’être utilisé par certains protagonistes.» L’entrepreneur a reconnu devant les juges avoir «été un peu dépassé […] par une affaire et des gens […] semblant les uns les autres assez fascinants». Il dément avoir participé à la manipulation.