«Ce n’est pas le procès des dépenses de l’Elysée. La séparation des pouvoirs nous interdit de juger de l’opportunité ou de l’intérêt des sondages» commandés sous la houlette de Nicolas Sarkozy. Quand bien même ces dépenses pour des enquêtes d’opinion en tout genre frôlaient 10% du budget élyséen au début de sa présidence, entamée en 2007. Voilà comment, en substance, le Parquet national financier (PNF) a tenu à cette précaution plus qu’oratoire en entamant mardi en fin d’après-midi son réquisitoire. Car il n’y est question que de code des marchés publics, de la manière dont ces sondages en rafale ont été commandés, sans le moindre appel d’offres.
Claude Guéant, «le grand manitou»
A tout «saigneur» des fonds publics, le PNF a ainsi requis deux ans de prison dont un ferme contre Patrick Buisson, l’éminence grise de Nicolas Sarkozy, dans ce procès au tribunal correctionnel de Paris où l’ancien conseiller et quatre ex-proches de l’ex-locataire de l’Elysée comparaissent pour des soupçons de favoritisme ou de détournement de fonds publics. Car Buisson aura bien profité de son bail élyséen, encaissant jusqu’à 33 000 euros par mois, soit bien plus que le Président en fonction (19 000 euros).
L’accusation ne lui reproche pas seulement ses marges «exorbitantes» de 65%, mais l’ensemble du chiffre d’affaires encaissé par sa société Publifact sous la présidence Sarkozy, soit près de deux millions d’euros : «Le contrat signé avec la présidence est en lui-même un détournement de fonds publics au préjudice de l’Etat, même si Patrick Buisson avait pratiqué des marges raisonnables.»
Côté présidence de la République, Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée et homme à tout faire de la Sarkozie, en prend principalement pour son grade : un an de prison dont six mois ferme requis contre le «grand manitou qui a ouvert à Patrick Buisson la cassette de l’Elysée.» Avec cette cinglante allusion à une précédente condamnation pour détournement de fonds publics, entre autres multiples procédures pénales le concernant : «Ce grand commis de l’Etat a une vraie disposition de délinquant chevronné, via un casier judiciaire qui commence à gonfler…»
L’accusation est bien plus tendre avec Emmanuelle Mignon, alors directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, qui aura vaille que vaille tenté de faire appliquer le code des marchés publics au sein de l’Elysée. Contre cette «nettoyeuse des écuries d’Augias», le PNF ne requiert qu’une simple amende de 10 000 euros, sa «démarche réformatrice» ne compensant pas totalement un «comportement malgré tout délinquant.»
«Un discrédit jeté sur le plus haut sommet de l’Etat»
A Pierre Giacometti, ancien patron d’Ipsos reconverti conseiller en communication via sa société No Com, l’accusation reproche une «pratique de mélange des genres sans limite», son contrat signé avec l’Elysée lui permettant de se faire mousser auprès de bien d’autres futurs clients. Et requiert contre lui six mois de prison avec sursis et 70 000 euros d’amende, à cause de ses «prestations très banales, sans aucune singularité», excluant ainsi tout relation intuitu personae avec le président de la République – qui aurait pu justifier de ne pas recourir à un appel d’offres auprès des multiples sociétés de conseil. Contre l’institut Ipsos, poursuivi en tant que personne morale, le PNF évoque un «acmé de l’illégalité», avec des sondages livrés sans la moindre facture, à la bonne franquette, comme sous les présidences Mitterrand puis Chirac. Et requiert 500 000 euros d’amende pour son «absence de rigueur contractuelle, invraisemblable pour une société cotée en Bourse.»
Si les mots prononcés par le PNF sont durs, les peines requises sont relativement plus douces. Parce que le principal protagoniste, barricadé derrière son immunité présidentielle, est à l’abri des poursuites ? Pour leur défense, tous les prévenus ont plaidé avoir agi sur les instructions directes de Nicolas Sarkozy. L’accusation veut bien l’admettre, mais souligne que l’ex-Président «ne s’est penché à aucun moment sur les modalités d’exécution.» L’avocat de l’Agent judiciaire de l’État, Renaud Le Gunehec, partie civile, a donc demandé que Patrick Buisson et ses sociétés, écopent de 1,4 million de dommages et intérêts réclamés aux bénéficiaires des contrats de conseils en communication politique. Et exige, au titre du préjudice moral, mille euros à chacun des prévenus, pour avoir «jeté le discrédit sur le plus haut sommet de l’Etat, qui perdure dans le temps à cause de la médiatisation» de l’affaire. Mercredi, les avocats de la défense plaideront la relaxe pure et simple, en simples exécutants d’un omniprésident.