C’est un nouveau revers politique pour Gérald Darmanin dans la saga sur l’avenir des Soulèvements de la Terre. Le Conseil d’Etat a définitivement annulé, ce 9 novembre, le décret de dissolution du mouvement écologiste né en janvier 2021 dans l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Une décision inattendue, à rebours des préconisations émises par le rapporteur public lors de l’audience sur le fond. Le 27 octobre dernier, Laurent Domingo, s’était prononcé pour le maintien du décret de dissolution décidé le 21 juin en Conseil des ministres.
Son analyse n’a pas été retenue par les juges de la plus haute juridiction administrative française. Le Conseil d’Etat a estimé que «la dissolution des Soulèvements de la Terre ne constituait pas une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public». Et le Conseil d’Etat de rappeler, alors qu’elles se sont multipliées ces derniers mois, «qu’une mesure de dissolution porte une atteinte grave à la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République. Elle ne peut donc être mise en œuvre que pour éviter des troubles graves à l’ordre public.» L’institution a en revanche validé la dissolution de trois autres associations : la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI), dissoute le 20 octobre 2021, l’Alvarium, un groupuscule d’ultradroite basé à Angers, dissous le 17 novembre 2021, et le GALE (Groupe antifasciste Lyon et environs), dissoute le 30 mars 2022.
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«Aucune provocation à la violence»
Concernant les Soulèvements, le Conseil d’Etat considère «qu’aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut [leur] être imputé». «Le relais, avec une certaine complaisance, d’images d’affrontements de manifestants avec les forces de l’ordre, notamment contre la construction de retenues d’eau à Sainte-Soline, ne constitue pas une revendication, une valorisation ou une justification de tels agissements», détaille encore le communiqué. En revanche, il juge «que les Soulèvements de la Terre se sont bien livrés à des provocations à des agissements violents à l’encontre des biens», et confirme ainsi que leurs actions entrent dans le champ de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, élargi par la loi dite «séparatisme». «Bien que nous sommes très satisfaits de la décision du Conseil d’Etat, nous contestons encore à ce jour cette motivation et restons prudents» quant à son utilisation, a réagi Me Aïnoha Pascual, lors de la conférence de presse organisée dans l’après-midi sur la place du Palais royal.
Enquête
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait appelé de ses vœux la dissolution des Soulèvements de la terre, au lendemain des violents affrontements entre manifestants contre les mégabassines et forces de l’ordre à Sainte-Soline, en mars dernier. Le décret a finalement été pris en Conseil des ministres en juin, après des semaines de flottement. Saisi en référé – une procédure d’urgence – le Conseil d’Etat avait suspendu en août la dissolution, pointant du doigt un «doute sérieux» quant aux motifs invoqués par l’exécutif dans sa décision.
Interview
«Multinationales écocidaires»
Après quelques mois de répit, l’audience sur le fond laissait présager un changement de braquet : le rapporteur public, avait ainsi estimé qu’il était «nécessaire» et «proportionné» au regard «des actions violentes» que le mouvement «provoque», mettant en avant la récurrence de ces provocations ainsi que leur résonance auprès «de centaines de militants». Selon lui, cette violence plaçait le collectif «en dehors du champ de la désobéissance civile» alors qu’«aucune cause ne justifie de porter atteinte à l’ordre public».
En rejetant le décret de dissolution, le Conseil d’Etat acte au contraire, la légitimité de la désobéissance civile en matière de défense de l’environnement. «Cette décision prend aussi acte du rapport de forces que nous avons instauré et de l’incroyable soutien dont nous avons bénéficié», ont réagi les Soulèvements dans un communiqué lu à plusieurs voix dans l’après-midi, devant le Conseil d’Etat. Une cinquantaine de personnes parmi lesquelles plusieurs élus écologistes et LFI, des représentants d’associations et d’ONG, se sont rassemblés pour célébrer cette «victoire». «Elle vient appuyer ce que le mouvement démontre depuis trois ans sur le terrain, ont poursuivi les militantes, micro en main. (...) Nous pouvons nous défendre et l’emporter face à la répression d’Etat. Nous pourrons mettre à l’arrêt des projets dévastateurs et faire reculer des multinationales écocidaires.»
Mis à jour à 17 heures 30 avec la conférence de presse organisée par les Soulèvements de la terre.