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Justice

Soupçons de fraude fiscale : 18 mois de prison avec sursis requis contre Isabelle Adjani

L’actrice aux cinq César était jugée ce jeudi 19 octobre pour dissimulation d’une donation en prêt et domiciliation fictive au Portugal.
Isabelle Adjani à La Rochelle, le 16 septembre 2022. (Xavier Leoty /AFP)
publié le 19 octobre 2023 à 21h13

Insaisissable Adjani. Présente ces dernières semaines dans les pages de nombre de magazines (Le Point, Paris Match, l’Obs) pour s’expliquer sur ses déboires judiciaires, elle avait choisi – comme le droit le lui permet – de ne pas venir à son procès ce jeudi 19 octobre pour s’asseoir sur le banc des prévenus, invoquant des raisons médicales. Le Parquet national financier a requis sans elle, donc, 18 mois de prison avec sursis probatoire pendant 2 ans, mais aussi l’inéligibilité pendant deux ans de l’actrice, une amende de 250 000 euros et la publicité du jugement au Journal officiel.

Le tribunal judiciaire de Paris présidé par Bénédicte de Perthuis aurait pourtant aimé l’entendre sur les soupçons de «fraude fiscale aggravée» et de «blanchiment de fraude fiscale» qui lui sont reprochés par le Parquet national financier (PNF) depuis 2016. Moins vendeurs pour la presse people, ses avocats Stéphane Babonneau et Olivier Pardo veillent au grain au cours de l’audience qui a duré quelques heures ce jeudi. Pas de glamour au menu, mais la sécheresse du Livre des procédures fiscales et, finalement, un sentiment mitigé sur une star qui, aux dires du procureur, semble vivre « de la générosité de son entourage pour financer son train de vie », aux « crochets de mécènes », assène-t-il d’un ton tranquille. Au 12 octobre, Isabelle Adjani devait encore 2,5 millions d’euros au fisc, après avoir réglé une partie de l’ardoise grâce à une transaction signée avec Bercy.

Avant que la défense demande la relaxe de l’actrice, le parquet a souligné comment Isabelle Adjani avait tenté de justifier à postériori sa volonté d’éviter l’impôt, en recourant à des montages complexes dans lesquels on se noie facilement pendant le déroulé du procès, rejetant la responsabilité sur ses conseils et feignant d’en ignorer l’utilité. Et peu importe que la justiciable s’appelle Isabelle Adjani, relève le procureur: « son nom importe peu, il n’est ni une raison supplémentaire à cette procédure, ni un obstacle ».

Le dossier a été ouvert par le PNF après la découverte des Panama Papers, des révélations du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) sur une firme détenant des milliers de sociétés off shore, possibles vecteurs de fraude fiscale, dans des paradis exotiques où les contrôles et la fiscalité étaient aussi cléments que la douceur du climat. Isabelle Adjani avait fait créer sous le soleil des Iles Vierges Britanniques une structure-coquille, Deckert Investments Limited. Tout comme l’un de ses anciens avocats, qui fait l’objet lui aussi d’une enquête pour fraude fiscale au PNF, toujours pendante à ce stade comme confirme à Libération une source judiciaire.

«Protéger» l’anonymat d’Emma Watson

Comme l’actrice a pu le développer dans ses récentes interviews, sa société Deckert n’a jamais géré de fonds ou été l’objet d’une quelconque fraude : cela ne lui est d’ailleurs pas reproché par le parquet financier. Cette coquille avait été créée en 2014 pour «protéger» l’anonymat d’une actrice, Emma Watson, a expliqué Adjani au Point, dans le cadre d’un «immense projet» qui ne s’est jamais concrétisé.

Les enquêteurs ont vite découvert que la société off shore, dépourvue d’activité, n’était pas un problème. Mais en décortiquant les comptes bancaires de la star, les policiers ont découvert la somme de 2 millions d’euros versée par un riche homme d’affaires sénégalais, Mamadou Diagna Diaye, le parrain de son fils, président du Comité national olympique et sportif sénégalais et membre du Comité international olympique. Don ou prêt ? En cas de don déguisé, il s’agirait alors aux yeux des impôts français d’une «donation non familiale» et la fraude au détriment du fisc s’élèverait, selon les calculs du PNF, à quelque 1,2 million d’euros.

Mais non, il s’agit d’un «prêt» amical de 10 ans in fine, c’est-à-dire sans intérêts et remboursable jusqu’à son terme, fin 2024, pour les avocats d’Adjani, qui assurent que la transaction «a fait l’objet d’un contrat dûment enregistré auprès de l’administration fiscale française dès sa signature en 2013». Les 2 millions ne sont pas totalement remboursés à ce stade, c’est en cours, martèlent les conseils: elle doit encore 1,5 million euros. La comédienne se serait fait gruger par le gérant d’une de ses boîtes et soulager de 800 000 euros, dit-elle à Paris Match, d’où le prêt généreusement consenti par son ami. Une «situation kafkaïenne», a-t-elle commenté dans L’Obs.

«Loft» au Portugal

Isabelle Adjani était-elle également domiciliée fictivement au Portugal ces dernières années ? Ses avocats reconnaissent qu’il y a eu une «divergence d’appréciation» entre elle et l’administration fiscale sur ce point en 2016 et 2017, mais que leur cliente «n’a aujourd’hui aucune dette fiscale, que ce soit en France ou au Portugal et a réglé tout ce qu’elle devait». A Match, qui a publié des photos de l’appartement qu’elle dit occuper à Carcavelos, à une vingtaine de kilomètres de la capitale portugaise, elle a assuré le 12 octobre vivre et être résidente fiscale depuis 2017 dans ce «loft» où elle a «entreposé toute sa vie». Un «petit immeuble qui ne paye pas de mine», glisse-t-elle au magazine de papier glacé. Mais avec parking.

Les autorités fiscales ont fait le compte: en 2016 Adjani avait passé 2 jours au Portugal, et en 2017 quatre jours seulement. Le procureur relève que sa situation en est même « caricaturale »: son foyer est « en France », elle dispose de « plusieurs appartements qui sont loués ou qui lui sont mis à disposition, tel celui du célèbre décorateur Jacques Grange », ses comptes bancaires sont en France, elle avait à cette époque « deux enfants scolarisés ici », une « femme de ménage... »

Les deux avocats de la star, qui avaient demandé le renvoi du procès à une date ultérieure, pour cause de maladie de l’actrice et d’absence du témoin essentiel, l’homme d’affaires qui transfère les fonds, se sont retrouvés face à l’opposition du PNF. Mais la présidente de Perthuis a immédiatement douté des véritables raisons de cette demande. Elle relève qu’alors qu’Adjani était convoquée depuis juin dernier à son procès, elle s’est envolée en première classe pour New York le 8 octobre et a acheté le 16 octobre, le jour où elle a commencé à se sentir malade selon ses avocats, un retour vers Paris, en classe éco, un vol censé atterrir à Roissy 2h30 seulement avant le début de l’audience. Comme si elle n’avait finalement jamais prévu de rentrer à Paris pour être jugée.

Avec les années, Adjani est devenue plus rare sur les écrans, mais fréquente plus les tribunaux, même quand ses avocats s’y présentent à sa place. Comme Libération l’avait révélé, l’actrice a été mise en examen en octobre 2020 pour «escroquerie», aux côtés de Mimi Marchand, figure de la presse people, qui fut proche des Macron et fréquente Carla Bruni et Nicolas Sarkozy, soupçonnée de «complicité». S’inscrivant dans le cadre de ses relations avec un ancien collaborateur, l’affaire, relative à d’éventuelles falsifications de remboursements d’une dette - contestées par les deux -, est toujours en cours, et pourra donner lieu à un classement sans suites ou à un renvoi devant le tribunal correctionnel.

MAJ: avec des éléments d’ambiance de l’audience.