C’est un élément central que révèle ce jeudi le procureur de Rennes. Steve Maia Caniço est tombé dans la Loire «dans le temps de l’intervention de la police nationale» venue disperser le rassemblement lors de la fête de la musique à Nantes en 2019, a annoncé jeudi le parquet de Rennes où cette affaire a été dépaysée. Des «relevés techniques» portant vraisemblablement sur le téléphone du jeune homme ont en effet «permis de situer le moment de la chute de Monsieur Maia Caniço dans la Loire à 4 heures et 33 minutes, soit dans le temps de l’intervention de la police nationale». Les métadonnées des images révélées en juillet 2019 par Libération montrent que les policiers étaient bien en train d’intervenir à ce moment-là. Et si «la géolocalisation précise de Monsieur Maia Caniço sur le quai Wilson au moment de sa chute dans la Loire n’a pu être techniquement établie», le communiqué du parquet confirme toutefois, à l’unisson de témoignages que nous avons obtenus il y a près de deux ans, que Steve était bien proche du bord du quai quand l’opération policière a commencé.
Presque deux ans. C’est donc le temps qu’il aura fallu à la justice pour clore «la phase de recueil des témoignages et des éléments techniques permettant d’avoir une vision précise du déroulement des faits du 22 juin», lit-on dans un communiqué envoyé par le procureur de la République de Rennes. Dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, la fête de la musique se termine sur les quais de la Loire, à Nantes, dans des nuages de gaz lacrymogènes. Une violente charge policière, ponctuée de jets de grenades et de tirs de LBD, mène à la chute de plusieurs fêtards dans le fleuve. Un mois plus tard, le corps de Steve Maia Caniço, animateur périscolaire vingtenaire, est retrouvé dans la Loire.
Un rapport administratif de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) avait notamment jeté le trouble en avançant que son téléphone «déclenchait un dernier relais» à 3h16, soit plus d’une heure avant l’intervention policière. Cet élément avait appuyé les conclusions du rapport, qui n’avait alors pas «établi de lien entre l’intervention de la police et la disparition», selon les mots repris par le Premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, au cours d’une intervention télévisée. Une communication qui «sidère» aujourd’hui la famille de Steve Maia Caniço, selon leur avocate Cécile De Oliveira.
L’heure de 3h16 avait en fait été relevée par la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de Loire-Atlantique, au cours d’une enquête pour disparition inquiétante – le corps de Steve n’avait alors pas été retrouvé. C’est là-dessus que l’IGPN a appuyé son enquête administrative, à l’origine du rapport de 2019. Mais cela «n’a jamais amené à soutenir que ce 3h16 était l’heure de la chute», insiste un enquêteur à l’Inspection contacté par Libération. Il s’agirait plutôt du moment où le jeune homme a pour la dernière fois envoyé un message. Il a donc fallu attendre que l’IGPN soit saisie d’une enquête judiciaire (un cadre qui donne des pouvoirs étendus par rapport à une enquête administrative), pour que soit établie l’heure du dernier bornage du téléphone, à 4h33. «C’est le résultat d’investigations autrement plus sophistiquées qu’une simple réquisition aux opérateurs», défend la même source.
Des convocations pour le mois de juillet
Le juge d’instruction David Bénichou, qui mène une l’information judiciaire pour homicide involontaire, engage désormais la phase «d’analyse des responsabilités pénales susceptibles d’être retenues ou non». Des convocations pour le mois de juillet «pouvant aboutir à une mise en examen ou au placement sous le statut de témoin assisté» ont donc été adressées à six personnes physiques et deux personnes morales.
D’abord «s’agissant de la préparation de la manifestation et l’orientation des murs de son vers un site non sécurisé pour accueillir du public», des convocations ont été envoyées à la mairie de Nantes et Nantes Métropole, au préfet de Loire-Atlantique et au sous-préfet (qui était directeur de cabinet du préfet au moment des faits), à la maire de Nantes et à son adjoint en charge de la sécurité au moment des faits. Les préparatifs de la Fête de la musique 2019 étaient déjà dans le viseur d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration commandé par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, après le drame.
Surtout, «s’agissant de l’intervention de la police nationale» dans la nuit du 21 au 22 juin, une convocation a été envoyée «au directeur départemental de la sécurité publique de Loire-Atlantique par intérim et au commissaire divisionnaire en charge du dispositif sur le quai Wilson au moment des faits». Le premier, Thierry Palermo, était dans la salle de commandement au moment de l’intervention. Le second, Grégoire Chassaing, était le chef du dispositif sur le terrain. «La famille de Steve Maia Caniço est soulagée que le dossier puisse connaître un tournant net avec la possible mise en examen des policiers en charge de l’intervention», réagit leur avocate Cécile De Oliveira.
L’enquête de Libération, à partir des vidéos de plusieurs témoins, avait révélé que l’opération policière menée ce soir-là – d’autant plus dangereuse que les quais n’étaient pas barriérés – n’avait pas été stoppée alors même que des fêtards criaient aux policiers que des personnes étaient tombées dans la Loire.
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Deux autres informations judiciaires sont également instruites par le juge Bénichou. L’une concerne les violences subies par les policiers (jets de projectiles notamment), et l’autre la mise en danger de la vie d’autrui, en l’occurrence des fêtards présents le soir de la Fête de la musique, qui se sont unis pour déposer plainte. Elles bénéficieront de ses avancées mais passent après l’enquête pour homicide involontaire, précise le communiqué, celle-ci étant «légitimement traitée de manière prioritaire s’agissant du décès d’une personne».