Au cœur du rapport parlementaire publié ce mercredi 29 mai, et au terme de plusieurs mois de travail de la mission d’information qui l’a produit, il y a un dissensus entre les députés. Faut-il modifier la loi encadrant l’usage des armes par les policiers et les gendarmes, notamment dans le cadre de refus d’obtempérer, et revenir au cadre général de la légitime défense ? Cette question brûlante s’est posée jusqu’à l’Assemblée nationale après la mort de Nahel Merzouk, adolescent d’origine maghrébine tué d’une balle par un policier à Nanterre (Hauts-de-Seine) l’été dernier – la quinzième personne en quinze mois à mourir dans ces conditions. Pour y répondre, la commission des lois de l’Assemblée nationale a lancé, en octobre, une mission d’information. Ses deux rapporteurs, Roger Vicot (PS) et Thomas Rudigoz (Renaissance), ne sont pas parvenus à un accord, et formulent des recommandations distinctes : le premier est favorable à une restriction du cadre légal de tir, et le second préfère un statu quo.
La législation actuelle provient d’une loi de février 2017, dite Cazeneuve, du nom de l’ancien ministre socialiste de l’Intérieur, devenu Premier ministre au moment du vote du texte. Celui-ci a créé l’article 435-1 du code de la sécurité intérieure, qui prévoit la possibilité pour les forces de l’ordre d’ouvrir le feu contre les occupants des véhicules qui n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et «sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui».
«Il ne faut pas laisser dans le cadre juridique des formulations qui pourraient faire penser que le cadre a été assoupli et l’usage de l’arme facilité», écrit le député Roger Vicot dans le rapport. Il souhaite, par la loi qu’il propose, retirer le caractère «susceptible» de la menace, et y insérer les adjectifs «manifeste» et «imminente». Le socialiste s’appuie notamment sur l’audition de la magistrate Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de Poitiers, qui estime que l’expression actuellement en vigueur «ouvre la porte à des interprétations permanentes» des policiers et des juges. Toutefois, Roger Vicot s’inquiète : selon lui, une réécriture du texte ferait courir «le risque bien réel de donner médiatiquement raison aux pourfendeurs de la police».
Allonger et renforcer la formation des agents
A l’inverse, le corapporteur Thomas Rudigoz estime «qu’il ne convient pas de relancer un débat sémantico-juridique qui pourrait aboutir à semer davantage de confusion». Pas de raison de changer la loi, donc, selon le député macroniste, qui «assume ne pas vouloir, symboliquement et politiquement, envoyer un message négatif aux forces de l’ordre qui se sont parfaitement approprié le nouveau cadre d’usage de l’arme», lit-on dans le rapport. Les termes de la loi sont «sans aucun doute imparfaits, mais comme le sont, pour d’autres raisons, tous les autres termes suggérés au cours des débats», relativise Thomas Rudigoz.
Roger Vicot et Thomas Rudigoz s’accordent cependant sur plusieurs recommandations : allonger la formation des agents, ouvrir «les écoles de police à des formateurs issus du monde extérieur (historiens, sociologues, professionnels du droit)», ou encore «engager une réflexion sur le développement, en formation initiale et continue, de la gestion du stress et le désamorçage des conflits, en particulier dans des situations de contrôles routiers». Les deux parlementaires s’entendent aussi pour «renforcer la formation des policiers à l’“après-tir” (accompagnement professionnel et psychologique, enseignement des procédures administratives et judiciaires)».
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La première partie du rapport tente de quantifier l’évolution des refus d’obtempérer en France. Les auteurs observent «incontestablement une hausse tendancielle» des chiffres de la police et de la gendarmerie, mais sont bien en peine de l’expliquer. Dans ses travaux et lors de son audition, le docteur en sciences politiques Sebastian Roché avait pointé les nombreux biais de cette comptabilité, en ce qu’elle repose, un peu comme toute statistique de la délinquance émanant des forces de l’ordre, sur l’«appréciation subjective» des agents. Ces derniers pouvant être plus ou moins sensibles à cette infraction (en l’espèce, plus) du fait d’une médiatisation importante, ou d’une consigne de leur hiérarchie par exemple,. Mais «l’ensemble des auditions menées, des rencontres effectuées et des données communiquées amènent vos rapporteurs à s’inscrire en faux contre» l’analyse du chercheur, balaient les élus. Ils concluent à l’inverse que «le nombre de refus d’obtempérer serait, en réalité, davantage sous-évalué que surévalué», du fait de la «lassitude» des agents, et de la «lourdeur de la procédure» pour les enregistrer.
Derrière les refus d’obtempérer, des causes diverses
Quant aux causes de l’augmentation du nombre de refus d’obtempérer enregistrés par les forces de l’ordre, elles sont «plurielles», selon les députés. Pêle-mêle, il y aurait : la création du permis à points, l’augmentation du trafic de stupéfiants, «une volonté croissante de transgresser et de défier l’autorité de l’Etat», ou encore l’«impact des jeux vidéo sur les jeunes».
Une cause pourrait aussi se nicher dans l’évolution du nombre de contrôles routiers effectués. D’un côté, les rapporteurs notent, au cours de la dernière décennie, une explosion du nombre de contrôles antistupéfiants (770 000 en 2022), mais une baisse du nombre de dépistages d’alcoolémie. A l’inverse, les contrôles routiers effectués par les policiers de voie publique reculent dans l’intervalle (348 000 en 2022), et ceux des gendarmes sont «stables». Conclusion prudente des rapporteurs : «établir une corrélation, ou pire encore une causalité, sur ce sujet [entre contrôles et refus d’obtempérer], dans un sens comme dans l’autre, apparaît ainsi extrêmement difficile.» D’où la recommandation suivante au ministère de l’Intérieur : «Mener un travail d’analyse qualitative des causes des refus d’obtempérer et des profils de leurs auteurs.»
Un chiffre, toutefois, demeure relativement faible : celui des accidents de la route liés à des refus d’obtempérer. Il y en a eu une cinquantaine par an depuis 2012, a indiqué la déléguée interministérielle à la sécurité routière à la mission d’information. En douze ans, entre un et neuf usagers sont morts dans ces accidents chaque année (pour quelque 3 000 morts sur la route annuellement). Contactée, la sécurité routière ne nous a pas fourni le détail de ces chiffres. Aussi, sur la période, huit policiers et trois gendarmes ont été tués alors qu’ils intervenaient dans le cadre d’un refus d’obtempérer, écrivent les rapporteurs.