Les informations tombaient au compte-goutte depuis dimanche soir. Plusieurs établissements pénitentiaires ont fait l’objet d’incendies de véhicules et celui de Toulon, dans le Var, a été visé par des tirs à l’arme lourde dans la nuit de lundi à mardi. Le ministre de la Justice se rend cet après-midi «à Toulon pour soutenir les agents concernés». Le parquet national antiterroriste (Pnat) s’est saisi de l’enquête.
Quels établissements sont touchés ?
Une dizaine d’établissements de l’administration pénitentiaire sont concernés à cette heure. Dans la nuit de dimanche à lundi, plusieurs voitures ont été brûlées sur le parking de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (Enap) à Agen (Lot-et-Garonne). C’est dans cet établissement que Gérald Darmanin avait annoncé le 23 janvier dernier l’ouverture de la première prison de haute sécurité dédiée aux narcotrafiquants fin juillet. Selon le syndicat pénitentiaire Ufap Unsa Justice, 1000 élèves logés sur le site ont été évacués. Contacté par Libération, le procureur de la République d’Agen, Olivier Naboulet, précise que «les premiers éléments recueillis permettent d’orienter prioritairement les services vers un acte volontaire». Une personne de 43 ans a été interpellée mais sa garde à vue a rapidement été levée. La même nuit, à Réau (Seine-et-Marne), le véhicule d’une surveillante a aussi été incendié et des traces d’hydrocarbures ont été retrouvées sur trois autres véhicules, a indiqué une source policière.
Détention
Quelques heures plus tard, le parking du centre pénitentiaire de Valence, dans la Drôme, est visé. «Un individu à trottinette vient de mettre le feu à deux véhicules sur le parking du centre pénitentiaire de Valence», informe alors le syndicat FO Justice. Avant de publier des photos de trois véhicules incendiés sur le parking de la prison de Villepinte, en Seine-Saint-Denis. A chaque fois, ce sont les voitures personnelles des fonctionnaires qui sont dégradées. Selon la même source, sur X, dans la nuit de lundi à mardi, deux autres voitures ont été détruites sur le parking du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes, dans les Bouches-du-Rhône, établissement connu pour abriter des membres de la DZ Mafia. L’Ufap Unsa Justice indique pour sa part que la base du pôle de rattachement des extractions judiciaires (Prej) de Marseille a «fait l’objet d’une tentative d’incendie volontaire». Selon une source policière, des voitures ont également été taguées sur le parking d’une résidence dans laquelle habitent notamment des des personnels de l’administration pénitentiaire dans le quartier des Chutes-Lavie, à Marseille.
Le parking de la prison de Nanterre a aussi été touché par un incendie. La prison de Toulon-La Farlède a été la cible dans la nuit de tirs d’arme lourde, de type kalachnikov. Selon les sources syndicales, une quinzaine de balles ont été tirées.
Quelles sont les pistes ?
Très rapidement, Gérald Darmanin attribue ces attaques au narcotrafic. «Des établissements pénitentiaires font l’objet de tentatives d’intimidation allant de l’incendie de véhicules à des tirs à l’arme automatique», avance le garde des Sceaux sur X. Faisant un lien direct avec sa politique contre les trafics de drogue, il ajoute : «La République est confrontée au narcotrafic et prend des mesures qui vont déranger profondément les réseaux criminels. Elle est défiée et saura être ferme et courageuse.» Selon une source «proche du dossier» citée par l’AFP, «tout cela semble coordonné et manifestement en lien avec la stratégie contre le narcobanditisme du ministre». Plus tard, depuis la prison de Toulon, le garde des Sceaux est apparu moins catégorique. «Je ne sais pas si ces faits ont un rapport avec la lutte extrêmement forte que nous menons contre le désordre en prison» et pour les prisons de haute sécurité, s’est demandé le ministre.
Toutefois, concernant les véhicules incendiés à l’Enap, le parquet d’Agen insiste auprès de Libé sur le fait qu’il est «trop tôt pour dégager des pistes précises, y compris sur la motivation du ou des auteurs des faits».
Plusieurs dégradations semblent néanmoins avoir été revendiquées. Ainsi, les incendies sur les parkings des prisons de Nanterre et de Villepinte ont été signés par leurs auteurs des lettres «DDPF», pour «Droit des prisonniers français», affirme Paris Match. Soit un groupuscule «constitué pour s’en prendre aux prisons et au personnel pénitentiaire dans le but de dénoncer les conditions de détention en France», avance l’hebdomadaire. Plusieurs sources pénitentiaires et sécuritaires contactées par Libération disent n’avoir jamais eu vent de cet acronyme.
Interview
Au demeurant, les photos publiées par La Provence montrent que les lettres «DDPF» ont été inscrites sur deux véhicules garés sur un parking utilisé par l’administration pénitentiaire à Marseille. Et le Dauphiné Libéré évoque un tag, découvert au centre pénitentiaire de Valence, sans en préciser la teneur. Enfin, à Toulon, un grand sigle rouge orangé comportant les mystérieuses lettres «DDFM» a été inscrit sur la porte grise par laquelle entrent et sortent les fourgons pénitentiaires, a constaté un journaliste de l’AFP.
Mardi, en milieu de journée, le parquet national antiterroriste (Pnat) annonce dans un communiqué se saisir de l’enquête, et la confier à la sous-direction antiterroriste (Sdat) de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), aux directions zonales de la police nationale concernées et à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Depuis Toulon, Gérald Darmanin a précisé que le Pnat «a ouvert sous trois qualifications dont l’association de malfaiteurs terroristes en vue de commettre des crimes». «Ce sont des qualifications extrêmement graves à la hauteur de ce qu’est l’attaque des services publics de l’administration pénitentiaire, c’est à dire une attaque terroriste», a ajouté le ministre, précisant également qu’il n’y avait «pas de revendication» pour le moment. «On n’a pas l’habitude de voir ce genre d’actions coordonnées et avec un message qui a été bombé sur la porte de cette prison (DDFM). Il y a des groupes sur les réseaux sociaux, Telegram, Signal, qui se sont créés et qui manifestement encouragent de faire ce genre de faits. On ne sait pas très bien ce que ça signifie.»
Quelles sont les réactions ?
En fin de matinée, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau demande aux préfets de «renforcer sans délai la protection des agents et des établissements» après ces faits. «La réponse de l’État devra être implacable. Ceux qui s’en prennent aux prisons et aux agents ont vocation à être enfermés dans ces prisons et surveillés par ces agents», poursuit sur X le ministre de l’Intérieur, condamnant «des attaques inacceptables».
Le syndicat FO Justice dénonce des «actes criminels» qui sont «une attaque frontale contre notre institution, contre la République, et contre les agents qui la servent au quotidien». Dans l’immédiat, les syndicats demandent une plus grande présence policière aux abords des établissements, et à ce que les agents puissent garer leurs véhicules à l’intérieur des enceintes et non plus sur les parkings attenants. De son côté, Gérald Darmanin s’est rendu à Toulon «pour soutenir les agents concernés», avant d’aller à la préfecture du Var.
Mise à jour à 17 h 45, ajout des déclarations de Gérald Darmanin depuis Toulon.