Sous-directeur de la lutte contre la criminalité financière au sein de la Direction centrale de la police judiciaire, le contrôleur général Thomas de Ricolfis analyse l’explosion du trafic de pass sanitaires en France.
Quel regard portez-vous sur l’émergence de ce phénomène ?
Depuis cet été et l’instauration du système de pass sanitaire, nous avons en effet constaté le développement rapide d’un trafic de faux pass. Une activité très lucrative puisque ces certificats falsifiés peuvent être revendus jusqu’à 500 ou 600 euros. Certaines investigations ont mis au jour des bénéfices pouvant aller jusqu’à 1 million d’euros. Tous les services de police et de gendarmerie sont mobilisés pour lutter contre ce fléau, et nous travaillons main dans la main avec l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp). Plus de 400 enquêtes judiciaires sont en cours.
Ce type de fraude est-il nouveau ?
Non, dès que l’Etat met en place un nouveau dispositif, il y a toujours des personnes mal intentionnées qui tentent d’en exploiter les failles. De plus, la crise du Covid a créé de nouvelles opportunités pour les escrocs. Dès mars 2020, nous avons vu apparaître une multitude d’escroqueries liées à l’épidémie. Il y a d’abord eu les fraudes aux produits sanitaires, notamment les masques et le gel hydroalcoolique, les escrocs jouant sur la pénurie pour proposer à des entreprises ou des particuliers du matériel souvent défectueux, voire inexistant. Puis on a vu ensuite émerger les fraudes au chômage partiel ou au fonds de solidarité, impliquant des groupes criminels structurés et pouvant générer des profits colossaux. Le trafic de faux pass s’inscrit dans cette dynamique.
Ah l'escroc Covid
Quelle est la typologie de ces nouveaux fraudeurs ?
Il faut être prudent car nous manquons de recul et il est très difficile de dresser un profil-type. Cependant, pour la plupart des cas que nous avons pu observer, nous ne sommes pas sur de la criminalité organisée au sens où on l’entend habituellement, avec des réseaux installés, des communautés spécialisées ou des modes de blanchiment très sophistiqués. Il s’agit plutôt d’une criminalité d’opportunité liée au contexte, avec des individus isolés ou des petits groupes qui ont identifié rapidement la faille et sont parvenus à l’exploiter. Il peut s’agir de professionnels de santé qui fabriquent eux-mêmes des faux pass ou bien d’escrocs qui usurpent des numéros professionnels pour pénétrer frauduleusement dans la base de données de la Caisse nationale d’assurance maladie.
Certaines régions sont-elles particulièrement touchées par ce trafic ?
Il n’existe pas de territoires dédiés comme pour certaines infractions, davantage ancrées géographiquement. Au départ, les premières grosses affaires de faux pass sanitaires ont surtout touché des centres de vaccination, où le volume important des injections rendait les contrôles plus difficiles. Mais le phénomène est rapidement devenu national, notamment à cause des réseaux sociaux. La plupart de ces escroqueries s’opèrent par le biais de Snapchat ou TikTok. Il ne faut pas chercher très longtemps sur une de ces plateformes pour tomber sur des dizaines d’annonces. Avec les réseaux sociaux, la criminalité s’est digitalisée et touche désormais un public très large bien plus rapidement. Les vendeurs, les intermédiaires et les acheteurs proviennent souvent de régions différentes et les enquêtes ouvertes couvrent l’ensemble du territoire. Toutefois, grâce à la sensibilisation des professionnels de santé, nous sommes plutôt sur une décroissance du phénomène.
Ce recours aux réseaux sociaux rend-il les investigations plus difficiles à mener ?
Pas forcément, dans la mesure où il n’est pas toujours nécessaire de faire des réquisitions judiciaires auprès des plateformes pour identifier les suspects. C’est d’autant plus vrai avec le trafic de faux pass sanitaires, où nous sommes rarement confrontés à des escrocs de haut vol, rompus aux enquêtes judiciaires et soucieux d’anonymiser leurs échanges. Beaucoup n’hésitent pas à s’afficher publiquement sans prendre la moindre mesure de sécurité, au risque d’être plus facilement détectables.
Décryptage
Est-il possible d’évaluer l’impact de ces fraudes ?
Il ne faut surtout pas se limiter à l’aspect financier de ces affaires. La vaccination étant gratuite, il n’y a pas à proprement parler de manque à gagner pour l’Etat. En revanche, il existe un préjudice réel en termes d’ordre public et de santé publique. Les acheteurs sont doublement victimes. D’une part car ils payent cher leur faux vaccin, d’autre part car ils exposent leur propre santé. Si une personne titulaire d’un faux pass sanitaire est hospitalisée, les médecins risquent de recourir à un protocole médical inadapté qui peut avoir des conséquences très lourdes. Et si une victime venait à décéder dans cette situation, le fraudeur pourrait alors être poursuivi pour fabrication de faux pass sanitaires, mais aussi pour mise en danger de la vie d’autrui. Ils sont nombreux à ne pas avoir conscience des risques encourus.