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Justice

Trafic de stupéfiants : le patron adjoint de la PJ de Bordeaux, Stéphane Lapeyre, condamné à trois ans de prison avec sursis

L’ex-numéro 3 de l’Office des stups a été reconnu coupable de «complicité de trafic de stupéfiants» et de «complicité d’usage de faux documents administratifs» pour son rôle dans une importation de cocaïne en 2013, à l’issue d’un procès emblématique. Tout comme son ancien subordonné, Jocelyn Berret, qui a écopé de la même peine.
Stéphane Lapeyre, ex-numéro 3 de l’Office des stups, au palais de justice de Bayonne en octobre 2019. (Gaizka Iroz /AFP)
publié le 20 décembre 2023 à 15h33

Rarement une charge aussi violente contre les dérives de la lutte antidrogue n’avait résonné dans l’enceinte d’un tribunal. Reconnus coupables d’avoir monté en 2013 une importation de cocaïne avec l’aide active de leurs informateurs, le patron adjoint de la PJ de Bordeaux et ancien numéro 3 de l’Office des stups (Ocrtis, devenu Ofast), le commissaire Stéphane Lapeyre, ainsi que son ancien subordonné, Jocelyn Berret, ont été condamnés par le tribunal judiciaire de Paris à trois ans de prison avec sursis pour «complicité de trafic de stupéfiants» et «complicité d’usage de faux documents administratifs». Des peines plus lourdes que celles requises par le parquet à l’audience.

La présidente, Isabelle Prévost-Desprez, a insisté sur le «contrôle très étroit du trafic par les enquêteurs», avant de dénoncer tour à tour leurs «multiples accrocs à la déontologie policière», le «dévoiement inacceptable» de leurs missions, les «carences graves» dans le traitement de leurs sources, leurs «dissimulations délibérées» et leur «défaut de loyauté» à l’égard de l’autorité judiciaire.

Drogue acheminée sans encombre

Dans ce dossier, a assené la juge, aucun trafic n’aurait été possible sans le «rôle déterminant» des deux informateurs de l’Office des stups, Lionel K. et Teddy M., condamnés respectivement à quatre ans et deux ans de prison, avec mandat de dépôt différé pour le premier et mandat d’arrêt pour le second, qui ne s’est pas présenté à l’audience. Des indics qui ont été «téléguidés» par leurs officiers traitants, a tancé la présidente, dans le seul but de démanteler une «pseudo-organisation criminelle» et d’«opérer sans aucune peine des saisies et des interpellations», alors que rien ne corroborait l’existence d’un trafic préalable. Au cours du procès, Stéphane Lapeyre avait esquissé un début de mea culpa, estimant avoir commis des «erreurs» et «manqué de discernement». «On a sans doute été trop présomptueux, avait concédé le commissaire. Cet instinct de chasseur nous a peut-être un peu grisés.»

A travers cette affaire emblématique, le tribunal est longuement revenu dans son jugement sur les méthodes controversées de l’Office des stups, en particulier le recours débridé aux livraisons surveillées (aussi appelés «ouverture frontière»), cette technique spéciale d’enquête qui permet de laisser passer la drogue sans la saisir, sous le contrôle d’un magistrat pour mieux la saisir à l’arrivée et interpeller des suspects. Problème : les livraisons surveillées qui ont permis d’acheminer la drogue sans encombre dans ce dossier n’ont pas donné lieu au moindre procès-verbal et aucun magistrat n’en a été informé, malgré les affirmations des enquêteurs.

Isabelle Prévost-Desprez tacle ainsi la «volonté délibérée des policiers de ne pas faire apparaître en procédure l’existence de ces livraisons qui n’étaient pas du tout surveillées». Manquements d’autant plus graves, selon elle, que le passage de frontière, «phase la plus complexe de l’opération», a donc été «rendu possible par les enquêteurs». Cible principale de cette opération, Jean-Michel L., décrit comme un «trafiquant sans envergure» au rôle finalement «résiduel», «instrumentalisé» par les indics des stups pour convoyer de la cocaïne, a néanmoins été condamné à quatre ans de détention, dont deux avec sursis, avec possibilité de purger sa peine sous bracelet électronique.

«Méthodes d’enquête sauvages»

Stéphane Lapeyre et Jocelyn Berret ont également été condamnés pour avoir fourni des faux papiers à Lionel K., ou tout du moins pour avoir laissé leurs informateurs utiliser cette fausse identité dans le but de récupérer 80 000 euros saisis à l’aéroport d’Orly par la police de l’air et des frontières et de réinjecter l’argent dans le circuit criminel afin d’acquérir la drogue. Un des «actes positifs» du trafic selon le tribunal. «Ce dossier a mis en exergue un comportement policier insupportable au corps social», a conclu la présidente, étrillant des «méthodes d’enquête sauvages» et une «atteinte grave aux principes fondamentaux du procès pénal».

Ironie du calendrier, ces condamnations interviennent quelques jours seulement après la décision du parquet de Bordeaux de requérir un non-lieu contre leur ancien patron à l’Office des stups, François Thierry, mis en examen depuis six ans pour «complicité de trafic de stupéfiants» dans une autre affaire retentissante mettant en cause les méthodes de ce service.

Les attendus du tribunal judiciaire de Paris apparaissent d’autant plus sévères que les policiers condamnés ont tous deux bénéficié, depuis le début de cette affaire, du soutien sans faille de leur hiérarchie, qui a mis en avant leur «loyauté» et de leur «absolue intégrité» et les a même promus. Ancien capitaine, Jocelyn Berret a ainsi été élevé au rang de commandant divisionnaire fonctionnel, aujourd’hui chef de service à l’antenne Ofast de Versailles. Son avocate, Anne-Laure Compoint, a aussitôt annoncé son intention de faire appel de la décision, qui n’est donc pas définitive. Tout comme l’avocat de Stéphane Lapeyre, Thibault de Montbrial.