Après le choc de l’attaque puis l’émotion et la colère de toute une profession, l’heure est à la traque. Mardi 14 mai, au péage d’Incarville, situé dans l’Eure, deux agents pénitentiaires de Caen sont morts, tués lors d’une attaque violente du fourgon dans lequel ils transportaient un détenu, Mohamed Amra. Trois autres agents ont été grièvement blessés.
Profil
350 enquêteurs sont mobilisés sur la piste des auteurs de l’assaut sanglant et du détenu en fuite. La traque du multirécidiviste s’organise aussi au-delà des frontières, avec une notice rouge émise par Interpol à la demande des autorités françaises pour localiser l’évadé au cas où ce dernier serait parvenu à quitter le pays. Alors que les recherches se poursuivent, Libération revient sur d’autres cavales marquantes en France.
Rédoine Faïd : une vie entrecoupée d’échappées
C’est sans doute l’un des braqueurs français les plus médiatisés. Rédoine Faïd, né le 10 mai 1972 à Creil (Oise), commence sa carrière dans les années 90, avec un hold-up dans une agence du Crédit du Nord de l’Oise. En septembre 1998, quelques semaines après l’attaque d’un fourgon, le criminel est arrêté. Il parvient à échapper aux contrôles des policiers qui l’escortent : sa première cavale, qui le mènera jusqu’en Suisse et en Israël, dure trois mois. «En cavale, je vivais tout le temps avec la mort, la peur de la police, la peur de me faire descendre», racontait-il fin 2010 au micro d’Europe 1. Finalement arrêté à Paris en décembre 1998, il est condamné à dix-huit ans de prison pour «vol à main armée». Il bénéficie d’une libération conditionnelle et sort pour bonne conduite en 2009.
A lire aussi
Plus tard, en 2010, le criminel spécialisé dans l’attaque de fourgons blindés est à nouveau soupçonné d’avoir participé à un braquage à main armée d’un convoi de fonds, durant lequel Aurélie Fouquet, policière municipale de 26 ans, trouve la mort. Il est interpellé un an plus tard et incarcéré à Sequedin (Nord) dans l’attente de son procès. Derrière les grilles de la prison, il met au point un plan d’évasion qu’il réalisera le 13 avril 2013. Rédoine Faïd prend quatre membres de la prison en otage et rejoint ses complices à l’extérieur. Alors que les services de police pensaient qu’il avait fui à l’étranger, le fugitif reste en région parisienne, écumant, avec son complice, les hôtels pendant six semaines. Après sa nouvelle interpellation au mois de mai 2013, il est incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne).
Le 1er juillet 2018, le récidiviste retente sa chance. Il parvient à s’évader de façon spectaculaire par hélicoptère du centre pénitentiaire du Sud-Francilien, la prison de Seine-et-Marne où il était incarcéré. L’opération, qui ne fait ni blessé ni otage, ne dure que «quelques minutes». Quelque 2 900 policiers et gendarmes sont mobilisés pour retrouver le fuyard. Le 3 octobre 2018, à 4 heures du matin, la brigade de recherche et d’intervention et le Raid interpellent Faïd et un neveu dans un appartement à Creil après 95 jours de cavale. Deux burqas, des perruques et un téléphone portable ont été découverts dans sa planque. A plusieurs reprises, le fugitif a utilisé la tenue couvrante pour se dissimuler lors de ses sorties en extérieur. Pour cette fuite, il écope de quatorze ans de réclusion criminelle en octobre.
Antonio Ferrara : deux cavales et des changements de look
C’est le deuxième «roi de la belle». Antonio Ferrara, braqueur né le 12 octobre 1973 à Cassino en Italie, est aussi surnommé «Nino» ou «Succo». En 1998, le braqueur s’évade une première fois de la prison de Fleury-Mérogis, profitant d’un transfert à l’hôpital de Corbeil-Essonnes. Alors que Ferrara se présente au centre hospitalier, trois complices armés pénètrent dans la salle d’attente et menacent les personnes présentes. Les surveillants non armés n’ont d’autre choix que de le laisser s’échapper. Après quatre années de cavale, il sera rattrapé par la patrouille en 2002 et emprisonné à Fresnes.
Au printemps 2003, «Antonio l’Italien» parvient à s’échapper de sa prison au cours d’une opération commando menée par une dizaine d’hommes armés jusqu’aux dents. Après avoir incendié des voitures dans une ville à proximité pour attirer et occuper les forces de l’ordre, le petit groupe lance l’assaut à la prison à grands coups d’explosifs et de mitraillettes pour faire sauter la porte principale. S’ensuivra une cavale de quatre mois. Recherché comme l’ennemi public numéro 2 (après Yvan Colonna), Nino Ferrara change de look – cheveux décolorés, coupe branchée – et de «blase». Il sera finalement retrouvé le 10 juillet 2003. Après avoir purgé sa peine, le «roi de la belle» sort de prison en juillet 2022, par la grande porte, et sans effraction.
Salah Abdeslam : une chasse à l’homme de 126 jours
Pendant des semaines, l’avis de recherche de l’unique survivant du commando du 13 Novembre a trôné dans tous les commissariats européens. «Né le 15 septembre 1989 à Bruxelles, 1,75 mètre, yeux marron.» Juste après les attentats à Saint-Denis et à Paris qui ont fait 131 morts et des centaines d’autres blessées, Salah Abdeslam, qui a grandi en Belgique, dans la commune de Molenbeek, parvient à passer la frontière française et trois barrages routiers, le dernier à Cambrai. Sa trace est perdue en milieu de journée dans la journée du 14 novembre 2015. Il s’évapore et échappe aux forces de l’ordre pendant quatre mois. Finalement, Salah Abdeslam est finalement arrêté à Molenbeek, à proximité du domicile de ses parents, le 18 mars 2016.
Profil
Yvan Colonna : 1 500 jours, la longue traque du «berger de Cargèse»
Le 6 février 1998, le préfet de Corse Claude Erignac est assassiné par un commando armé à Ajaccio. Une traque XXL est enclenchée sur l’île. Ce n’est qu’en mai 1999, quinze mois plus tard, qu’un coup de filet permet l’arrestation d’une partie du «commando Erignac». Mais le nom d’un élément manquant, et potentiel assassin du préfet, est murmuré : Yvan Colonna. Celui qui est surnommé le «berger de Cargèse», né le 7 avril 1960 à Ajaccio, reste introuvable. Les mois défilent, mais toujours aucune piste du militant indépendantiste et criminel corse. La police cherchera Yvan Colonna en France et dans le monde entier durant plus de quatre ans. Le 4 juillet 2003, il est finalement appréhendé près d’une bergerie d’Olmeto, un hameau situé à 100 kilomètres au sud de Cargèse, sur l’île de beauté. Colonna niera toujours son implication dans l’assassinat, mais sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 2007. En 2022, après avoir été brutalement agressé en prison, Yvan Colonna meurt de la suite de ses blessures.
A lire aussi
Marco Mouly : roi de la cavale de cinq jours
Il est l’un des visages de l’escroquerie géante à la TVA sur le marché du carbone. Marco Mouly annonce partir en cavale le 8 mars, alors que la justice vient d’ordonner son incarcération car le juge d’application des peines a révoqué le sursis dont il bénéficie. «Je défie la police», «je suis déjà dans la voiture», affirme le «roi de l’arnaque» par téléphone à Mediapart. «J’en veux à la société. Je me tiens à carreau et voilà qu’on me ressort une affaire de 1998 !» peste-t-il. La veille du jugement, il prévenait déjà : «Jamais je retourne en prison. Et avec moi, la cavale, c’est dans les grands hôtels et les palaces.» Marco Mouly finit par se rendre à la justice le 13 mars, sa fuite n’a duré que cinq jours.
Celui qui se désigne comme «le plus gros des mythos» – il vient de le prouver – avait déjà pris la poudre d’escampette après sa condamnation à huit ans d’emprisonnement dans l’affaire dite de la «taxe carbone» fin 2017. Sa cavale avait alors duré quelques mois, en Suisse. Arrêté, puis placé en semi-liberté en 2020, il rentrait dormir entre les barreaux en limousine. Auprès de Libé, il avait ensuite reconnu : «J’aime frimer de temps en temps, c’est vrai.»