Trois gendarmes décorés pour avoir participé à l’interpellation au cours de laquelle Adama Traoré est mort. C’est une révélation de Mediapart qui ne va pas manquer de tendre la situation, à la veille d’une marche pour «demander la vérité et la justice» pour le jeune homme décédé le 19 juillet 2016, il y a quasiment cinq ans, à l’âge de 24 ans. Selon les informations du média d’investigation – qui ne cite aucune réaction officielle de la gendarmerie nationale –, Romain F., Arnaud G. et Mathias U. ont reçu en septembre 2019 la décoration de la «citation sans croix simple à l’ordre du régiment». Une récompense habituellement accordée pour un acte de bravoure, pour avoir mis sa vie en danger ou en avoir sauvé une.
Selon Mediapart, les décorations récompenseraient les trois gendarmes d’être «parvenus» à «localiser et interpeller» Adama Traoré ce jour-là et d’avoir fait preuve «en la circonstance, d’un engagement remarquable et d’une détermination sans faille qui font honneur à la gendarmerie nationale». Attribuées par le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) de l’époque, Richard Lizurey, elles figureraient à leur dossier administratif, remis aux enquêteurs. Contacté par Libération ce vendredi, le service communication de la DGGN a indiqué «ne pas encore avoir les éléments pour répondre» aux éléments avancés par Mediapart.
A ce stade, les militaires ne sont pas mis en examen dans le dossier de la mort d’Adama Traoré. Dépaysée à Paris, l’instruction est toujours en cours et enlisée dans de nombreuses expertises médicales dont les conclusions divergent sur la responsabilité ou non des gendarmes dans le décès du jeune homme.
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Cette récompense «déshonore toute l’institution»
Quelques mois seulement avant ces décorations, les juges d’instruction avaient d’ailleurs relancé les investigations à ce sujet, en demandant une nouvelle expertise médicale mais aussi les auditions de plusieurs témoins. Plus étonnant encore, les motivations exposées par le DGGN pour récompenser les gendarmes iraient, selon Mediapart, à l’encontre de certains éléments de l’enquête. Il aurait notamment souligné que les trois hommes avaient face à eux un «auteur de violences», alors que les enquêteurs ont écarté toute violence de la part d’Adama Traoré. Il aurait aussi motivé la décoration des gendarmes pour leur «surveillance des constantes vitales [du jeune homme] jusqu’à l’arrivée des secours», alors que le témoignage d’un pompier mentionne dans le dossier qu’à leur arrivée, Adama Traoré était allongé sur le ventre dans la caserne de Persan – et non pas en position latérale de sécurité – et menotté.
Cette récompense «déshonore toute l’institution de la gendarmerie nationale, incapable d’enquêter sur les violences commises par ses propres agents», a affirmé à Mediapart Me Yassine Bouzrou, avocat de la famille Traoré. Il y a deux semaines, les trois gendarmes décorés ont perdu leur procès en diffamation à l’encontre d’Assa Traoré, la sœur d’Adama, pour les avoir cités dans la tribune «J’accuse», qui les tenait pour responsables de la mort de son frère. Elle a été relaxée le 1er juillet.
J’Accuse …!
— La Vérité Pour Adama (@laveritepradama) July 18, 2019
Par ASSA TRAORE
Le 13 janvier 1898, les mots d'Emile Zola résonnaient dans l’Aurore. Il réclamait dans l'affaire Dreyfus une justice que la France était incapable de rendre.
Le 17 juillet 2019, c’est dans ce même pays que moi, Assa Traore, j’accuse à mon tour 👇🏼 pic.twitter.com/wYD0wna8gd
Dans une autre affaire, celle des émeutes de Beaumont-sur-Oise qui ont suivi la mort d’Adama, son frère Bagui Traoré a également été acquitté vendredi dernier par la cour d’assises du Val-d’Oise. A l’issue du verdict, Assa Traoré avait lancé : «On reprendra une totale confiance en la justice quand les gendarmes seront sur le banc des accusés pour la mort de mon autre frère.»