Si la police et la justice avaient mieux évalué la dangerosité de W.M., les trois personnes abattues à Paris vendredi 23 décembre seraient-elles toujours vivantes ? C’est ce que semblent pointer des articles du Monde et de Mediapart publiés ce mardi, revenant sur les suites de l’attaque au sabre d’un camp de migrant il y a un an menée par ce même homme, suspect de la tuerie raciste de la rue d’Enghien.
Le 8 décembre 2021, à 7 heures du matin, le sexagénaire, qui s’était fait passer pour un joggeur, s’approche d’un campement de migrants installé au sein du parc de Bercy, dans le XIIe arrondissement de Paris. Armé d’une lame d’un mètre de long, hurlant «mort aux migrants», W.M. commence à lacérer leurs tentes. Puis il touche un homme au dos et à la hanche, s’en prend à un adolescent mineur qu’il taillade, avant d’être finalement maîtrisé au sol par des occupants du camp. Ceux-ci le frappent notamment avec une branche d’arbre, le blessant légèrement.
Une fois sur les lieux, la police ne fait pas dans le détail et interpelle W.M. ainsi que tous les individus impliqués dans les violences. Quatre des cinq personnes agressées, sauf le mineur, sont même placées en garde à vue pendant quarante-huit heures. «Après leur garde à vue, elles nous ont dit n’avoir reçu aucun soin ni avoir eu accès à un traducteur. Apparemment, on ne les a même pas vraiment interrogées», rapporte au Monde Cloé Chastel, l’ancienne responsable de l’accueil de jour de l’association Aurore, présente ce jour-là au parc de Bercy.
Profil
Selon le Monde, la police n’interroge même pas les gardés à vue victimes de l’agression de W.M. sur les circonstances de cette attaque, et transmet un dossier au parquet qui décide de les déférer devant un juge d’instruction pour «violences en bande organisée». C’est finalement le travail des associations et des avocats commis d’office qui permet au juge de mieux comprendre l’affaire. Les victimes sont relâchées mais placées sous le statut de témoins assistés.
Sauf pour une des personnes agressées : un ressortissant marocain en situation irrégulière. De quoi alerter la préfecture, qui délivre dans la foulée à l’homme une obligation de quitter le territoire français (OQTF) où il est mentionné que l’intéressé s’était livré à des «violences volontaires avec arme et en réunion», alors qu’il se défendait avec un branchage face à l’assaillant et son sabre.
Amendes généralisées pour les soutiens
Au lendemain de l’attaque du campement, les associations viennent en nombre afficher leur soutien à la soixantaine de personnes passablement traumatisées par l’agression survenue la veille. Elles demandent à la police de sécuriser les lieux. «Mais au lieu de cela, nous avons vu les Brav [brigades de policiers à moto] débarquer en masse pour verbaliser les militants présents pour rassemblement non autorisé», poursuit Cloé Chastel. 19 militants, dont 8 de la seule association Aurore, écopent ainsi d’une amende de 135 euros.
W.M., lui, est mis en examen et placé en détention provisoire. Il sera remis en liberté conditionnelle le 12 décembre 2022, à la fin du délai légal d’un an de détention provisoire pour les faits visés. Une libération assortie d’un contrôle judiciaire interdisant à l’ancien conducteur de train, aujourd’hui retraité, de détenir des armes et l’obligeant à des soins psychiatriques.
Billet
Un traitement policier «raciste»
L’affaire, qui doit toujours être jugée, semble donc avoir davantage été traitée comme une rixe entre W.M. et des migrants que comme une tentative de meurtre commise par le retraité. L’infraction retenue contre lui, «violences avec arme», est passible d’une peine de moins de dix ans de prison et l’auteur présumé ne peut pas effectuer une détention provisoire supérieure à un an. En revanche, si la qualification de «tentative d’homicide» avait été retenue, W.M. serait peut-être toujours en détention provisoire. En outre, malgré ses motifs clairement racistes revendiqués lors de l’attaque du camp de migrants à Bercy, le suspect n’avait pas été fiché par les services de renseignements.
«A cause d’un filtre raciste, la police a mis au même niveau l’agresseur et les victimes, déplore auprès de Mediapart William Dufourcq, responsable associatif qui avait suivi l’affaire à l’époque. Le traitement aussi léger de cette attaque par les forces de l’ordre est clairement lié à la couleur de peau des personnes agressées.» Si les victimes avaient été blanches, assure-t-il, «il y aurait eu un vrai suivi psy de l’assaillant» et le «système judiciaire aurait traité les choses différemment».
Constat similaire pour Cloé Chastel : «Ce qui est choquant dans tout ça, c’est le traitement raciste de cette histoire autour de l’attaque du camp à Bercy. Si l’agression avait été prise au sérieux à l’époque, on aurait peut-être évité la mort des personnes kurdes vendredi dernier.»