Ce n’était pas le dénouement le plus prévisible. Le tribunal de Bobigny a condamné ce jeudi six policiers à des peines allant de 6 à 12 mois de prison, dont six mois ferme pour certains, pour des violences et des injures racistes lors de l’interpellation de Samir E., un homme de nationalité égyptienne, en avril 2020.
Le policier qui avait déclaré «un bicot comme ça, ça nage pas» à l’encontre de l’interpellé a été condamné à six mois de prison avec sursis alors que le parquet de Bobigny avait requis quatre mois avec sursis. Quatre de ses collègues ont par ailleurs été condamnés à 12 mois, dont 6 mois ferme, quand le parquet, toujours, avait requis la relaxe au bénéfice du doute pour les six policiers suspectés de violences. Le parquet de Bobigny n’avait en effet pas retenu les violences dans ses réquisitions, seulement les insultes.
Contacté par Libération, Laurent-Franck Lienard, avocat de Pierre C. , policier qui a tenu les propos racistes, annonce que son client devrait faire appel «s’il a la force de poursuivre cette procédure devant la cour». «Nous contestons cette décision. Le tribunal n’a tenu compte ni des éléments de faits que nous avions portés à sa connaissance ni des arguments juridiques que nous avons développés», argue l’avocat connu pour défendre les forces de l’ordre.
🔴 GLAÇANT
— Taha Bouhafs 🔻 (@T_Bouhafs) April 26, 2020
À L’ile-Saint-Denis très tôt ce matin(1h43), lors d’une interpellation des policiers repêchent un homme qui s’est jeté dans la Seine pour leur fuir, je vous laisse découvrir la suite : pic.twitter.com/vcqepo7NNZ
«Quelque chose est en train de frémir dans les jurisprudences»
Cette condamnation est en tout cas un motif de satisfaction pour l’avocat de Samir E., Arié Alimi, qui ne cache pas non plus un léger étonnement. «C’est une décision qui n’est pas totalement attendue dans la mesure où les dossiers de violences policières sont toujours très compliqués. Et faire contre le parquet, c’est encore plus compliqué», explique l’avocat à Libération. Ce dernier va jusqu’à évoquer une «victoire d’étape dans le combat contre les violences policières et le racisme dans la police». «Il ne s’agit pas que d’un symbole car on parle ici de condamnations de prison ferme pour des violences. La reconnaissance des violences n’est pas une chose si évidente, il existe une culture assez lancinante dans la justice qui peut parfois considérer que l’on ne condamne pas des policiers comme on condamne n’importe qui.»
A lire aussi
Cette décision de justice marquante pourrait ouvrir le chemin des condamnations dans les tribunaux français, ce qui n’était pas si évident jusqu’ici. «On sent que quelque chose est en train de frémir dans les jurisprudences et dans les habitus judiciaires. C’est une décision qui conforte mes espoirs», assure Me Arié Alimi, qui tient aussi à ne pas oublier la victime, Samir E., qui était en situation irrégulière et donc dans une précarité et une fragilité «extrêmes». «Il a été essentialisé, il a été violenté, traité comme une chose.» Le jeune homme se dit «très heureux» du verdict et explique, par la voix de son avocat, avoir «toujours peur quand il croise des policiers dans la rue». Samir E. est toujours en situation irrégulière mais a trouvé un travail, même s’il a du passer 90 jours dans un centre de rétention administrative.
Arié Alimi insiste aussi sur la symbolique de «l’Arabe que l’on jette dans la Seine», qui rappelait les scènes de 1961, épisode sombre de l’histoire de France évoqué à de multiples reprises lors du procès début novembre. «J’espère que certaines des familles de victimes qui n’ont pas eu de justice commencent à se dire qu’elle est peut-être en train de commencer à changer.»
Mise à jour : ajout ce jeudi à 16 h 15 des réactions des avocats Arié Alimi et Laurent-Franck Lienard et à 17 h15 de celle de Samir E.