Le 25 août 2020, Me Stella Bisseuil se rend à la maison d’arrêt de Seysses, près de Toulouse, pour s’entretenir avec son client. En passant le portique de sécurité, l’avocate entend une sonnerie. Elle indique alors aux surveillants pénitentiaires que cette alerte est causée par les armatures métalliques de son soutien-gorge. Mais le personnel de la prison refuse de la laisser entrer tant qu’elle n’a pas enlevé son sous-vêtement, ce qu’elle finit par faire sur le parking de la maison d’arrêt. Une situation que l’avocate toulousaine juge dégradante et discriminatoire.
Après des échanges avec l’administration de Seysses, qui assure avoir simplement respecté la loi, Me Stella Bisseuil amène l’affaire devant le tribunal administratif de Montpellier. Ce dernier rend un premier jugement en faveur des autorités de la prison le 25 octobre 2022. Mais l’avocate, convaincue de son bon droit, fait appel et réussi à faire condamner l’Etat par un jugement de la Cour administrative d’appel de Toulouse le 17 septembre 2024, pour violation de ses droits d’avocat. Une victoire pour elle, mais aussi pour ses consœurs et confrères qui ont vécu des scénarios similaires, comme elle s’en explique à Libération.
Que s’est-il passé ce 25 août 2020 ?
Je me suis présentée à la maison d’arrêt de Seysses pour m’entretenir avec un client détenu. Pour entrer dans l’établissement, c’est exactement comme dans les aéroports : on doit mettre nos affaires dans une boîte et passer un portique. Mais ce jour-là, ça sonne quand je traverse. J’enlève mes chaussures, mon bracelet, ma barrette mais cela continue de s’allumer à chaque fois. Je dis au gardien que cela doit être à cause de mon soutien-gorge avec des armatures métalliques. Je ne peux pas l’enlever, d’autant plus qu’il n’y a pas d’endroit où se changer. Le gardien me dit «tant que vous sonnez, vous ne pourrez pas rentrer». Je me dis qu’il faut absolument que je rentre voir mon client qui m’attendait.
La directrice de la prison passe et j’imagine qu’avec une femme on va pouvoir discuter et s’arranger. Elle me répond qu’il n’y a pas d’autres solutions et que je ne rentrerai pas tant que cela sonne. Insister n’a servi à rien. Je lui ai demandé s’ils allaient m’obliger à me déshabiller. Elle m’a répondu «c’est votre affaire». J’ai donc dû le faire dans ma voiture sur le parking de la prison. Un endroit où il y a des caméras partout. Je me suis dit que ce qui était en train d’arriver était anormal et qu’il s’agissait d’une atteinte à mon devoir professionnel.
Edito
Pourquoi avez-vous fait le choix de vous tourner vers la justice ?
Je pensais que c’était nécessaire de montrer qu’il y a un Etat de droit. Je les avais dans un premier temps contactés par mail pour qu’ils conservent la vidéo de l’incident, car tout est filmé à l’intérieur. Ils m’ont simplement répondu qu’ils avaient appliqué la loi. J’ai contacté le contrôleur des lieux de privation de liberté et j’ai trouvé les textes pour me forger mon opinion juridique. Il existe une circulaire où il est écrit que si un portique sonne pour un avocat, médecin, ou pour tous les gens qui rentrent en prison, il peut y avoir une fouille manuelle pour savoir si la sonnerie est inoffensive.
Nous sommes allés au tribunal une première fois en 2022 et j’ai perdu. Ils ont prétendu que j’avais refusé qu’ils utilisent un détecteur manuel et que j’avais préféré me précipiter à ma voiture. Ils ont menti éhontément, c’est quand même particulièrement choquant ! J’ai fait appel devant la Cour administrative d’appel de Toulouse et je leur ai fait une sommation de produire la fameuse vidéo de l’incident. Ils ne l’ont évidemment pas fournie, et pour cause, ils savaient très bien ce qu’elle montrait. La cour d’appel m’a donné raison en validant ma version des faits et ma version du droit. Elle a reconnu que c’était illégal et une atteinte à ma dignité.
Qu’espérez-vous comme traces de ce jugement ?
Je savoure d’avoir réussi à gagner cette affaire car la justice administrative n’est pas la plus encline à condamner l’administration. C’est aussi une victoire qui me dépasse car j’ai reçu des témoignages similaires de consœurs. Mais cela peut également concerner des hommes pour une prothèse ou encore pour un élément métallique qu’on ne peut pas enlever. En plus d’être une question de dignité, je considère cela comme une atteinte au droit à la fois des avocats et des prisonniers.
Alors j’espère à présent que l’administration pénitentiaire va simplement appliquer la loi et qu’elle va mettre à la disposition des gardiens des détecteurs de métaux manuels, comme dans les aéroports. Il n’y a pas de raison de ne pas pouvoir prendre un avion car le portique sonne et vous ne pouvez pas vous déshabiller ou enlever votre prothèse de hanche.