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Libération

Attaque au couteau à Rambouillet : «Jamais je n’aurais pensé que ça puisse arriver ici»

Un homme a agressé à coups de couteau une fonctionnaire de police ce vendredi devant son commissariat des Yvelines. Elle a succombé à ses blessures. Interpellé et blessé par balles, l’assaillant est mort.
L'attaque a eu lieu ce vendredi devant le commissariat de Rambouillet, dans les Yvelines. (Bertrand Guay/AFP)
publié le 23 avril 2021 à 15h21
(mis à jour le 23 avril 2021 à 18h19)

Les Yvelines, une nouvelle fois en deuil. Cinq ans après l’attentat de Magnanville, six mois après l’assassinat de Samuel Paty, le département renoue avec l’horreur. Vendredi, en ce début d’après-midi printanier, Stéphanie M., 49 ans, a été fauchée alors qu’elle rentrait de sa pause déjeuner au commissariat de Rambouillet, ville où elle travaillait depuis vingt-huit ans. Secrétaire administrative, cette petite femme souriante aux yeux bleu clair ne portait pas donc pas d’uniforme ni d’arme sur elle quand un homme armé d’un couteau l’a frappée deux fois à la gorge dans l’entrée du poste de police. Les pompiers n’ont pas réussi à la réanimer, elle est morte sur place. Elle était mariée et était mère de deux filles, âgées de 18 et 13 ans. L’assaillant a été abattu. Prénommé Jamel G., ce Tunisien de 36 ans, originaire de Sousse serait arrivé en France en 2009, en situation irrégulière, et aurait bénéficié d‘une autorisation exceptionnelle de séjour salarié en 2019. L’homme était inconnu des services de police et des renseignements. En fin d’après-midi, une opération de police a été menée à son domicile de Rambouillet. En début de soirée, une perquisition avait également lieu à Thiais, dans le Val-de-Marne, où il avait résidé auparavant. Au moins trois personnes de l’entourage de l’assaillant étaient placés en garde à vue vendredi soir.

Saisie du parquet national antiterroriste

Le parquet national antiterroriste a annoncé dans la foulée s’être saisi des faits et avoir ouvert une enquête «de flagrance des chefs d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs terroriste». En cause : «des éléments de repérages», le profil de la victime, «mais aussi les propos tenus par l’auteur de la réalisation des faits», a précisé le procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard, qui s’est rendu sur place en fin d’après-midi. A ses côtés, le Premier ministre, Jean Castex, et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sont venus montrer leur soutien aux fonctionnaires de police. «Je voudrais dire à l’ensemble des Français et des Françaises combien notre détermination à lutter contre le terrorisme sous toutes ces formes est plus que jamais intacte», a déclaré le chef du gouvernement, face aux caméras. «Nous ne céderons rien» face «au terrorisme islamiste», a déclaré de son côté Emmanuel Macron sur Twitter. Selon des sources proches de l’enquête, des témoins affirment que l’homme a crié «Allah Akbar» avant de s’en prendre à la fonctionnaire de police. Selon un représentant du syndicat Unsa-Police relayant une information d’un adhérent présent sur les lieux, «à aucun moment les collègues n’ont entendu Allah Akbar».

Jamel G., 36 ans, vivait depuis quelques années dans une maison excentrée de Rambouillet, assure une source proche de l’enquête. Sur les réseaux sociaux ses posts publics dénonçaient pour la plupart l’islamophobie ou les propos de polémistes à l’image d’Eric Zemmour, révèle l’AFP. Mais depuis le mois d’avril 2020, il se contentait de publier des prières et des versets coraniques. Huit jours après la décapitation du professeur de collège Samuel Paty par un islamiste radical, il avait changé sa photo de profil et rejoint une campagne intitulée «Respectez Mohamed prophète de Dieu».

Au sein du commissariat, les fonctionnaires de police sont sous le choc. Pour Géraldine V, 50 ans, brigadier PJ, qui a travaillé deux ans aux côtés de Stéphanie M., «c’est un déchirement». Elle se souvient d’une femme «exemplaire», «discrète» et «charmante», qui «rendait service à l’ensemble du commissariat», «c’était notre système nerveux». Sur son bureau, au premier étage, elle avait posé le portrait de ses deux filles, «dont elle était très proche». Les week-ends, elle faisait aussi la comptabilité de son mari, boulanger dans la ville voisine de Thoiry, raconte son ancienne collègue.

«Du pain béni pour Le Pen !»

Le commissariat de Rambouillet est implanté dans un quartier calme et résidentiel. «Jamais je n’aurais pensé que ça puisse arriver ici», affirme Anne, en sweat orange et ballerines roses, qui habite à quelques pas. A 65 ans, elle a toujours vécu ici, dans cette ville qu’elle qualifie de «bourgeoise, hyper catho et bien-pensante» où elle s’est «toujours sentie protégée». Le père Amaury Sartorius, curé de la paroisse, lui, se dit «inquiet». Son presbytère est situé à 200 mètres du commissariat. «Les policiers sont toujours dehors pour nous protéger lors des grandes fêtes. Il faut qu’on leur montre notre soutien», affirme-t-il. Alors qu’il promène son petit chien, Philippe, un quinquagénaire en costume, s’interroge : «J’aimerais bien savoir si c’est un vrai terroriste ou un détraqué». Un peu plus loin, Jérôme, un éducateur vient tout juste de rentrer du travail et de découvrir, un peu ahuri, l’attaque sanglante qui s’est déroulée en bas de chez lui. D’une voix saccadée, il égrène sa «tristesse» et son «incompréhension». Pour autant, il dit «ne pas être en psychose». Ce qui le tourmente le plus, c’est que, vu le profil de l’assaillant, «tout ça parte encore dans tous les sens sur le racisme». «J’ai 40 ans, je suis né dans les années 80, à une époque où tout le monde voulait vivre ensemble. Revenir en arrière comme ça, c’est difficile», lâche-t-il encore. Même état d’esprit pour Bruno, 53 ans, en pleins travaux dans son jardin. Perché sur un escabeau, il lâche, dépité : «Tout ça, c’est du pain béni pour Le Pen !».