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Libération
Arrestation

Vallée de la Roya : le militant Cédric Herrou interpellé par les gendarmes

Migrants, réfugiés... face à l'exodedossier
Arrêté pour une «infraction routière» ce mercredi 20 mars par la gendarmerie, l’agriculteur, figure de la solidarité avec les migrants, a été placé en garde à vue car plusieurs de ses passagers étaient en situation irrégulière, justifie la préfecture des Alpes-Maritimes.
Cédric Herrou à Briançon, le 16 mars. (Thibaut Durand /Hans Lucas via AFP)
publié le 20 mars 2024 à 21h13

Il s’est filmé en direct, assis dans le panier à salade de la gendarmerie, les menottes aux poignets. Ce mercredi 20 mars, sur la route qui relie Breil-sur-Roya à Saorge (Alpes-Maritimes), les gendarmes ont interpellé le militant Cédric Herrou, figure de la solidarité avec les migrants. Sur son compte X et sur Facebook, Cédric Herrou apparaît dans une vidéo assis sur la banquette d’un fourgon de gendarmerie au cœur de la vallée de la Roya. Il se filme, puis la caméra se fixe sur les mains menottées d’un homme assis à ses côtés.

Selon Nice Matin, Cédric Herrou a été interpellé en compagnie de plusieurs membres de la communauté Emmaüs. «On est interpellé, on verra un peu. On ne sait pas trop si c’est une garde à vue, ce que c’est. On allait travailler dans les champs», déclare dans la vidéo l’agriculteur de 44 ans connu pour son aide apportée aux étrangers en situation irrégulière. Avant qu’il lui soit ordonné d’éteindre son téléphone.

Sur les réseaux sociaux, sa compagne Marion Gachet a réagit à l’arrestation. Elle évoque «3 compagnons, 2 bénévoles et 1 salarié Cédric Herrou interpellés et embarqués on ne sait où par 4 voitures de gendarmes mobiles». Dans un message publié en début de soirée sur le compte X de Cédric Herrou, le militant y écrit avoir été placé «en garde à vue pour “aide à la circulation irrégulière d’étrangers en France”». «Ces étrangers sont des compagnons d’Emmaüs» et «sont actuellement en détention administrative», précise-t-il avant de demander leur «libération immédiate».

La préfecture des Alpes-Maritims a de son côté indiqué dans la soirée sur X que Cédric Herrou « a été interpellé ce jour (mercredi) par des gendarmes mobiles dans le cadre d’un contrôle routier à la sortie du tunnel de Saorge » et qu’une « infraction routière retenue à son encontre et le refus de fournir les documents afférents à la conduite du véhicule ont entrainé l’immobilisation du véhicule ». « La présence à bord de passagers en situation irrégulière a conduit au placement en garde à vue de M. Cédric Herrou et au placement en retenue administrative des passagers », a ajouté la préfecture.

Deux compagnons d’Emmaüs en centre de rétention administrative

Selon plusieurs responsables de la communauté Emmaüs Roya, dans la vallée de la Roya, le long de la frontière italienne, Cédric Herrou  était à bord d’une camionnette pour aller travailler aux champs avec trois compagnons et deux bénévoles belges quand ils ont été stoppés par des gendarmes mobiles pour un contrôle d’identité. Les six hommes ont été interpellés et conduits au commissariat d’Auvare à Nice, à une heure de route. Les deux bénévoles et l’un des compagnons, de nationalité française, ont été libérés en début de soirée. Les deux autres compagnons, l’un Gambien et l’autre Mauritanien, ont été placés en rétention administrative en vue d’une expulsion.

Ces deux compagnons placés mercredi en rétention administrative sont en situation irrégulière mais vivent en France depuis longtemps et sont déclarés comme compagnons à la préfecture dans le cadre d’une démarche de régularisation, selon les membres d’Emmaüs contactés par l’AFP mercredi. L’un d’eux vit à la communauté avec sa femme et leurs quatre enfants, âgés de 5 à 11 ans, tous scolarisés dans la vallée.

Dénonçant depuis des mois la multiplication de ces contrôles, Cédric Herrou avait lancé la semaine dernière un appel à témoins et prévoyait de déposer ces jours-ci un recours devant le tribunal administratif, assurant que ces mesures visaient particulièrement les personnes noires et qu’elles étaient parfois conduites par des militaires de l’opération Sentinelle non habilités aux contrôles d’identité.

Breil-sur-Roya, la commune où Cédric Herrou élève des poules et cultive des oliviers, est située au cœur de la vallée franco-italienne de la Roya, montant aux sommets de la vallée des Merveilles dans le Mercantour. Un point de passage par où les migrants tentent d’entrer en France. En août 2017, Cédric Herrou a été condamné pour aide aux migrants à 4 mois de prison avec sursis. Il était poursuivi pour avoir convoyé en 2016 environ 200 personnes sans papiers, en majorité érythréennes et soudanaises, de la frontière italienne jusqu’à son domicile, puis avoir organisé avec des associations un camp d’accueil sur un ancien centre de vacances inoccupé de la SNCF.

Avec un autre militant, il a alors saisi le Conseil constitutionnel sur le «délit de solidarité» dont ils s’estimaient victimes. Cette démarche a abouti à une décision historique en juillet 2018, les «Sages» ayant consacré «la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national», et donc le «principe de fraternité». Par la suite, le Parlement a dû modifier la loi pour désormais protéger des poursuites les personnes prodiguant une aide au «séjour» et à la «circulation» des migrants – mais non à leur «entrée» sur le territoire – si elle est apportée «sans contrepartie» et «dans un but exclusivement humanitaire».

Deux mois plus tard, la Cour de cassation a annulé la condamnation de Cédric Herrou et renvoyé l’affaire à Lyon, où il a été relaxé le 13 mai 2020. Le parquet général de Lyon a alors formé un pourvoi en cassation, un recours dénoncé alors comme un «acharnement» par l’agriculteur et ses soutiens. Le pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation en mars 2021, mettant fin au feuilleton judiciaire.