Près de 271 000 victimes de violences conjugales, en très grande majorité des femmes, ont été enregistrées par la police et la gendarmerie en 2023. Soit une hausse de 10 % sur un an, a annoncé ce mercredi 6 novembre le ministère de l’Intérieur. Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a observé que le nombre de victimes enregistrées «a doublé depuis 2016» et inscrit cette hausse dans le «contexte de libération de la parole et d’amélioration des conditions d’accueil des victimes».
Comme les années précédentes, la très grande majorité des victimes sont des femmes : elles représentent 85 % des procédures enregistrées par les forces de sécurité, contre 86 % l’année précédente. Les mis en cause sont plus souvent des hommes, à 86 %, contre 87 % en 2022, a relevé le SSMSI. Les deux tiers des violences conjugales enregistrées par le ministère de l’Intérieur se manifestent par des atteintes physiques. Près de 3 victimes recensées sur 10 ont subi des violences verbales ou psychologiques. Sur l’ensemble des victimes, 17 % ont subi du harcèlement et 12 % des menaces. Les atteintes à la vie privée représentent 1 % des violences enregistrées, autant que les injures et diffamations. Les violences sexuelles concernent 4 % des victimes enregistrées en 2023. Enfin, pour 2 % des victimes de harcèlement moral, les faits ont mené au suicide ou à une tentative de suicide, précise le SSMSI. Par ailleurs, comme en 2022, le Pas-de-Calais, la Réunion, le Nord, la Somme et la Seine-Saint-Denis «figurent parmi les départements qui affichent les plus forts taux de victimes enregistrées pour 1 000 habitantes» âgées de 15 à 64 ans, selon le ministère.
Seulement 14 % des victimes déposent plainte
Une hausse du nombre de victimes enregistrées par les forces de sécurité n’indique pas nécessairement une hausse similaire des faits de violences. Elle peut aussi signifier que la police et la gendarmerie y sont plus attentives, ou que les victimes ont une plus grande tendance à se manifester (c’est le phénomène de «libération de la parole»). Au demeurant, ces chiffres ne représentent qu’une petite partie des victimes : d’après l’enquête de victimation «Vécu et ressenti en matière de sécurité», seulement 14 % des personnes ayant subi des violences conjugales déposent plainte.
Cinq ans après le Grenelle des violences conjugales inauguré fin 2019, les regards se tournent vers les forces de sécurité. Le centre Hubertine-Auclert a présenté, mardi 5 novembre, les résultats d’une étude sur la timide efficacité d’outils censés faciliter l’accueil des victimes par les forces de l’ordre. Il s’agit de la grille d’évaluation du danger et du masque de plainte. Ce dernier doit permettre, grâce à ses 74 questions, de préciser la nature des violences et de trouver la solution la plus adaptée pour aider la victime. Seuls 75 % des policiers affirment utiliser la grille d’évaluation «systématiquement», quand 7 % ne se servent jamais de ce dispositif destiné à encourager les forces de l’ordre à prendre en compte la parole des victimes. Dans un second temps, ces grilles d’évaluation sont transmises à différentes instances judiciaires qui peuvent déclencher des dispositifs de protection d’urgence comme le téléphone grave danger ou le bracelet antirapprochement.
Reportage
A l’occasion de la présentation des résultats du centre Hubertine-Auclert, la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Salima Saa, a expliqué que «des annonces seront faites le 25 novembre, pour la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes». Interrogée par Libé, l’ancienne préfète précise qu’il y aura «un gros volet formation» des forces de l’ordre. Avant d’ajouter : «Le Grenelle était en 2019, nous sommes bientôt en 2025 et je pense qu’il y a encore des choses à faire. La preuve, toutes les femmes n’osent pas aujourd’hui franchir la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie. Et encore 7 plaintes sur 10 sont classées sans suite.»