Au pied de cet immeuble du XIVe arrondissement de Paris, une grande tache de couleur pourpre est visible sur le bitume. Les habitants, qui ne cessent de la regarder, s’en tiennent toutefois à bonne distance : nul n’a envie de poser le pied sur le sang de l’homme qui, vers 20 h 30 samedi 6 juillet, a défenestré ses deux enfants depuis la fenêtre de son appartement du cinquième étage, avant de lui-même se jeter dans le vide. Agé de 49 ans, il est mort vers 21 heures tandis que ses deux petits garçons, nés en 2019 et en 2021, «voient leur pronostic vital engagé», selon le parquet de Paris. Une enquête pour tentative de meurtre sur mineurs de moins de 15 ans et pour recherche des causes de la mort concernant le père a été ouverte par la brigade de protection des mineurs.
«Ils se sont mis à hurler»
Du côté des résidents de l’immeuble, c’est le choc et l’incompréhension en ce dimanche 7 juillet. Une dame de 75 ans, rencontrée en bas de ce grand bâtiment blanc de douze étages, résume bien le sentiment général : «Je n’ai pas dormi de la nuit. Vous vous rendez compte ? Balancer ses propres enfants par la fenêtre ? Je ne comprends pas.» Depuis la veille, un son effroyable ne quitte plus son esprit : les trois grands «boum» qu’elle a entendus depuis son appartement du troisième étage, avant de voir, étendus sur un carré de pelouse, le corps des deux victimes et, à côté, celui de leur père sur l’asphalte. «En bas, il y avait des enfants qui étaient en train de jouer et qui ont assisté à la scène. Ils se sont mis à hurler», ajoute-t-elle, gardant aussi en mémoire le large périmètre de sécurité mis en place par la police la veille au soir. Une cellule d’urgence médico-psychologique a été activée.
«J’ai vu quelque chose tomber à toute vitesse par la fenêtre. Je pensais que c’était une nappe ou une serviette, mais j’ai regardé en bas : c’était un enfant.» Extrêmement choqué, ce garçon de 11 ans vit au quatrième étage, juste en dessous du logement où se sont déroulés les faits. Sa mère, qui raconte «avoir prié toute la nuit pour les petits», explique être montée au cinquième après avoir entendu «un cri de détresse». «Je suis tombée sur la maman, qui avait le nez en sang : elle m’a dit que son mari venait de la frapper avant de jeter ses fils par la fenêtre et de se défenestrer lui-même. Je suis ensuite descendue avec elle en bas de l’immeuble pour rester avec les enfants, pour les tenir éveillés et les soutenir avant l’arrivée des pompiers», ajoute-t-elle. D’après les premiers éléments de l’enquête, juste avant les faits, une dispute aurait éclaté entre l’homme et sa compagne, qui seraient arrivés dans l’immeuble il y a environ un an.
Notion de «violences vicariantes»
Si, à l’heure actuelle, peu d’éléments de l’enquête permettent de tirer des conclusions avec certitude, la mention d’une dispute familiale peut faire penser à un cas de «violences vicariantes», notion née en Espagne ces dernières années, encore très méconnue dans la société française et qui désigne les violences faites aux femmes en s’en prenant à leurs enfants. «Dans ce genre d’affaires, le conjoint utilise les enfants comme un moyen de torture contre sa femme. Les enfants sont victimes mais les violences sont là pour détruire les femmes», précise à Libé Claire Bourdille, fondatrice du collectif Enfantiste, qui lutte contre les violences faites aux enfants. Pénalement, la notion n’existe pas. Et en France, «très peu de personnes savent de quoi on parle. On parle beaucoup de féminicides, de violences faites aux femmes et conjugales mais les violences faites aux enfants sont très peu étudiées, alors que la majorité des victimes conjugales sont des mères donc il y a des enfants victimes», poursuit la militante, qui dénonce la «quasi-invisibilisation» de ce type de violences. Pour les spécialistes, ces violences faites aux enfants interviennent dans le «continuum des violences faites aux femmes».
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«Quand on croisait la maman seule avec ses enfants dans l’ascenseur, elle avait l’air détendue. En revanche, quand elle était avec son mari, elle semblait plus crispée», témoigne une jeune femme résidant au sixième étage, qui n’avait pas de lien avec le couple, décrit unanimement comment «discret». Croisé sur le même palier avec son petit garçon de 2 ans, tout joyeux et insouciant dans un maillot de foot aux couleurs du Brésil, un autre voisin décrit un homme «ne disant jamais bonjour ou au revoir». «Je suis très, très triste aujourd’hui. Mon fils joue parfois au parc avec les enfants de ce couple ; évidemment, je ne lui ai pas parlé de ce qui s’est passé, il est trop petit», dit-il. D’après une voisine, une heure et demie avant les faits, la mère et ses deux enfants étaient justement au parc. Là-bas, ses fils aiment faire de la trottinette.