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Pour les législatives, le grand dilemme des juifs de gauche

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Faire barrage à l’extrême droite, mais pour qui voter ? Pour les juifs de gauche, l’équation du 30 juin est presque impossible à résoudre, entre hésitations autour de la présence de LFI et demande de clarifications sur l’antisémitisme.
Lors d'une manifestation contre la loi immigration, le 18 décembre 2023. (Noémie Coissac/Hans Lucas. AFP)
publié le 12 juin 2024 à 17h02

Il y a ceux pour qui l’infâme vient déjà de se produire, et d’autres qui attendent des clarifications et des engagements forts contre l’antisémitisme. Les grandes institutions juives du pays, telles que le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), ont déjà voué aux gémonies le Front populaire naissant, sa faute étant d’intégrer La France insoumise (LFI) dans ses rangs. «L’antisémitisme n’est visiblement pas une question suffisamment importante pour renoncer à une alliance électorale, s’est alarmé, mardi sur X (anciennement Twitter) Yonathan Arfi, le président du Crif. Ceux qui accepteront de candidater sous ses couleurs en porteront la responsabilité devant l’Histoire.»

«Macron a remis Mélenchon au centre du jeu»

Les milieux juifs de gauche sont, eux, agités par d’intenses débats. Que faire, alors que LFI et l’extrême gauche ont considérablement clivé sur la question de l’antisémitisme depuis l’attentat islamiste du 7 octobre ? «Il n’y a pas eu une semaine sans que le dirigeant de LFI n’ait fait une déclaration antisémite», déplore Brigitte Stora, militante antiraciste et autrice d’Antisémitisme : un meurtre intime (éditions le Bord de l’eau). Mais depuis dimanche soir et l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, la marche de l’Histoire s’est brutalement accélérée. «Nous pensions avoir l’extrême droite au pouvoir dans trois ans. Elle peut y être dans trois semaines, s’alarme Alice Timsit, conseillère écolo de Paris, élue du XIXe arrondissement. Nous avons le devoir et la responsabilité d’à tout prix faire barrage.»

Faire barrage à l’extrême droite est, bien sûr, le point d’accord vers lequel tout le monde converge. Mais avec quelles briques ? Pour les juifs de gauche, l’équation du 30 juin est presque impossible à résoudre. Dans son dernier éditorial, la revue K, tenue par des intellectuels juifs de gauche, évoque ces dilemmes. «Si les élections législatives confirment la division de l’espace public national entre une alliance des droites autour du RN et une alliance de gauche autour de LFI, une nasse se sera refermée sur les juifs de France, sur l’ensemble des citoyens», y lit-on.

Avant d’arriver aux élections législatives, il y a eu d’abord une immense déception, un regret que le cours de l’histoire qui se profilait se soit brutalement arrêté. «Raphaël Glucksmann avait réouvert une possibilité», s’accordent à dire nombre de militants juifs antiracistes. Celle d’un vote à gauche dans ces milieux confrontés aux flambées antisémites qui ont suivi le 7 octobre et la virulente campagne de LFI. Pour nombre de juifs de gauche, cette possibilité a déjà été refermée par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. «Macron a remis Mélenchon au centre du jeu», se désole Brigitte Stora.

«Un travail véritable doit se faire»

Quoi qu’il en soit, pour l’avocat Patrick Klugman, le choix est déjà fait. «Il n’y a pas de dilemme», contrecarre-t-il, la mort dans l’âme, je vais voter pour le parti de Macron.» Il n’est pas le seul à envisager ce vote, y compris dans les rangs de la jeune génération antiraciste.

Pour ceux qui soutiennent le nouveau Front populaire, les clarifications s’imposent. «Il doit y avoir une déclaration de l’ensemble des partis qui sont en train de discuter les accords», plaide l’avocat Arié Alimi, l’un des initiateurs de Golem, collectif des juifs de gauche, engagé contre l’antisémitisme, créé en 2023. «Un travail véritable doit se faire contre les discours à tonalité antisémites. Je ne pense pas que LFI soit un parti antisémite», poursuit-il, estimant qu’il est «abusif» de faire une équivalence entre l’extrême droite, «héritière de Vichy» et la gauche radicale.

Les plus optimistes parient sur l’opportunité de cornériser une partie de LFI. «L’hégémonie de Mélenchon ne sera plus possible, espère ainsi Alice Timsit. Une fois que l’union sera actée, la question de l’antisémitisme doit être abordée. Les signaux politiques doivent être envoyés aux électeurs, aux juifs de gauche. Nous ne pouvons pas faire comme si rien ne s’était passé.»