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Justice

Procès de l’assassinat de Samuel Paty : l’ensemble des accusés condamnés à des peines allant jusqu’à 16 ans de réclusion

Au terme de sept semaines d’audience, qui ont provoqué de vifs débats sur la qualification terroriste, les huit personnes accusées d’avoir tenu un rôle dans l’engrenage mortifère ayant abouti à la décapitation de Samuel Paty ont été condamnées par la Cour d’assises spécialement composée de Paris, ce vendredi 20 décembre.
Paris, le 20 décembre 2024 : verdict du procès Paty. Gaelle Paty et l'avocate Virginie Le Roy (Cha Gonzalez/Libération)
publié le 20 décembre 2024 à 20h43

Dans la salle d’audience en bois clair, les cris, les applaudissements et les pleurs ont émaillé le verdict rendu par la cour d’assises spécialement composée. Au terme de sept semaines d’audience, les juges ont prononcé des peines sévères, allant de 3 ans avec sursis à 16 ans de réclusion criminelle, à l’encontre des huit accusés impliqués, à des degrés divers, dans l’engrenage ayant abouti à l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020. «Ces faits d’une barbarie absolue constituent une atteinte irrémédiable aux valeurs de la République, notamment à la laïcité, et au sanctuaire qu’est l’école, causant un émoi considérable dans le pays, plus particulièrement dans le corps enseignant, et un traumatisme définitif et durable notamment pour son fils de 5 ans», a précisé le président, Franck Zientara.

Devant les caméras, les avocats de la défense ont déploré une décision avant tout politique : «La juridiction a cédé face aux sirènes de l’opinion», a tonné Vincent Brengarth, un des avocats du militant islamiste Abdelhakim Sefrioui. «Pourquoi organiser ces procès si c’est simplement pour avoir une vengeance ? Une loi du Talion ? Une justice qui n’en a que le nom ?» a ajouté Louise Tort, un des conseils de Brahim Chnina, le père de la collégienne à l’origine du mensonge. Parmi les dernières personnes à faire leur apparition dans la salle des pas perdus, Gaëlle Paty, une des deux sœurs du professeur d’histoire-géographie, a quant à elle fait jaillir son «soulagement» : «Je suis émue d’entendre ce mot “coupable”. Est-ce que cela répare ? Je ne dirais pas ça, mais c’est ce que je voulais entendre.»

Qualification terroriste

Jusqu’à la sonnerie, ce vendredi à 20 heures tapantes, le verdict était incertain. Parce que les sept semaines de débat n’ont pas permis de faire émerger de qualification claire pour définir juridiquement les faits reprochés aux huit accusés impliqués dans l’engrenage ayant abouti à l’assassinat de Samuel Paty. A l’inverse, elles ont conduit le parquet national antiterroriste (Pnat) à revoir à la baisse son réquisitoire, demandant une requalification de la moitié des chefs d’infraction retenus et suscitant l’ire des parties civiles.

C’était l’un des principaux enjeux de ce procès : la cour a retenu la qualification terroriste pour Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, vieux briscard du militantisme islamiste venu lui prêter main-forte. Dans son verdict, les juges ont estimé que tous deux se sont «concertés pour donner une plus large publicité aux faits dans un contexte de republication des caricatures, et ce malgré les mises en garde». En «attisant la colère et la haine» d’Abdoullakh Anzorov, l’auteur des faits, ils ont ainsi «contribué à son passage à l’acte» et sont «devenus son bras armé». Dès le 7 octobre 2020 et pendant dix jours, les deux hommes ont multiplié les diatribes contre le professeur sur WhatsApp, Facebook et YouTube, appelant notamment à faire virer «ce malade». Pour avoir ainsi contribué à désigner le professeur au terroriste Abdoullakh Anzorov, la cour les a reconnus coupables d’association de malfaiteurs terroriste criminelle. Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, désignés comme les auteurs de la «campagne de haine» contre Samuel Paty, ont ainsi respectivement écopé de 13 et 15 ans de réclusion criminelle. «Malgré l’extrême gravité des faits, il n’est pas démontré que vous avez souhaité l’issue fatale», a toutefois pointé le président.

La décision de la cour d’assises spécialement composée n’avait rien d’évident. Aux yeux de la défense, qui s’était attelée lors des plaidoiries à battre en brèche la qualification terroriste, ce verdict va plus loin que la jurisprudence. «Aujourd’hui, avec cette extension de l’association de malfaiteurs terroriste, n’importe quel militant pourrait être poursuivi. L’état de droit n’est pas respecté», a tonné Me Ouadie Elhamamouchi à la sortie du tribunal. Car, au terme des débats, aucun élément n’a permis de démontrer qu’un de ces deux accusés nourrissait des ambitions jihadistes ou avait connaissance du projet d’Anzorov, rendant le dessein terroriste difficile à déterminer. «Quand on a des actes positifs, un achat d’arme, la fourniture de papiers, des actes matériels, l’intention en découle», avait jugé Frank Berton, un des avocats de Brahim Chnina, au cours de sa plaidoirie. Mais concernant les deux accusés-clés du procès, quelles actions auraient-elles pu constituer des actes préparatoires au projet terroriste ? Leurs messages Whatsapp ou leurs vidéos sur les réseaux sociaux ? «On vous demande de créer le droit. D’empiéter sur le pouvoir du législateur. D’aller dans une zone dans laquelle personne n’est allé jusqu’à présent», avait lancé Vincent Brengarth, un des avocats d’Abdelhakim Sefrioui.

«Je regrette du fond du cœur»

Face aux accusés, le président a précisé avoir pris en compte l’état de santé fragilisé de Brahim Chnina, sa situation familiale ainsi que «l’ascendant [de Sefrioui sur lui] lors des faits». En effet, lorsque leurs chemins se croisent en 2020, Brahim Chnina a le sentiment d’être face à un homme «un grade au-dessus de lui». Il refuse de fumer devant lui, le vouvoie et reprend ad nauseam ses éléments de langage, notamment le terme de «voyou» pour désigner Samuel Paty. Refusant de concéder une manipulation du prédicateur sur lui, il avait toutefois déclaré lors des débats : «Si j’avais été tout seul, ça ne se serait pas passé comme ça.»

Au cours des sept semaines de procès, leur attitude était par moments diamétralement opposée. D’un côté, Brahim Chnina a été dépeint comme un homme dévoué, un papa-poule jusqu’au boutiste aveuglé par sa volonté d’aider sa fille. Lors de son interrogatoire sur les faits au début du mois de décembre, l’homme de 52 ans avait tenu à assumer sa part de responsabilité et à se tourner vers la famille de Samuel Paty pour formuler des excuses. Une position à laquelle il est resté fidèle ce jeudi, veille du verdict, lors d’une dernière prise de parole dans la salle des Grands Procès du palais de justice de Paris : «Bonjour monsieur le président, mesdames et messieurs de la cour, les parties civiles, toute la famille de M. Paty, et surtout Gabriel, son fils. Je veux encore vous présenter mes excuses. J’ai été égoïste, je voulais défendre et protéger ma fille et malheureusement j’ai tout raté. Je regrette du fond du cœur».

De l’autre côté, le militant islamiste endurci Adelhakim Sefrioui avait surtout profité de son interrogatoire pour «laver [s]on nom de l’ignominie commise le 16 octobre», estimant qu’il n’était «pas un membre de la chaîne causale» : «Je suis à part», avait-il conclu. Même son de cloche ce jeudi pour sa dernière prise de parole avant le verdict : «J’espère que ce procès a pu permettre à la famille de Samuel Paty et à ses proches d’évoluer dans leur façon de me regarder et de savoir que je n’ai rien à voir avec ce crime.»

Complicité d’assassinat terroriste

En ce qui concerne le deuxième groupe d’accusés, à savoir les deux amis du terroriste, Naïm Boudaoud, 22 ans, et Azim Epsirkhanov, 23 ans, la cour les a reconnus coupables de complicité d’assassinat terroriste et condamnés à 16 ans de réclusion criminelle, suscitant la surprise et la vive émotion de leurs proches dans la salle. Si, au cours des débats, aucun élément n’a permis de démontrer que les deux comparses étaient au courant du projet mortifère d’Anzorov, le président a néanmoins estimé face à Azim Epsirkhanov : «La cour a tenu compte du rôle que vous avez joué dans les faits alors que vous aviez conscience de la dangerosité d’Abdoullak Anzorov, qui était votre ami d’enfance et dont vous connaissiez la radicalisation mais à qui vous n’avez pas hésité à proposer votre aide.»

Alors qu’ils risquaient tous deux la perpétuité, le président Franck Zientara a précisé face à Naïm Boudaoud avoir pris en compte son «jeune âge, 18 ans» à l’époque des faits. «Et donc votre immaturité, le fait de vous être présenté spontanément aux services de police et l’absence de signes de radicalisation violente», a continué le président. Les qualifications retenues par les juges sont toutefois plus sévères que les réquisitions du Pnat, qui sollicitait lundi, malgré l’«aide incontestée» des deux comparses dans la logistique des derniers jours (la recherche de l’arme de poing, l’achat d’un couteau et d’une arme d’airsoft, ainsi que le transport sur le lieu des faits), une requalification de la «complicité d’assassinat terroriste» en «association de malfaiteurs terroriste».

Apologie et provocation

Enfin, les juges ont fait le choix de diviser le dernier groupe d’accusés, dit de la «jihadosphère» et composé d’Ismaïl Gamaev, Louqmane Ingar, Yusuf Cinar et Priscillia Mangel, en distinguant les deux premiers des deux derniers, conformément aux réquisitions du ministère public. S’ils sont tous quatre jugés pour avoir échangé sur les réseaux sociaux avec le terroriste Abdoullakh Anzorov avant son passage à l’acte et, pour l’un d’entre eux, avoir partagé son message de revendication, seuls Ismaïl Gamaev et Louqmane Ingar ont été reconnus coupables d’association de malfaiteurs terroristes, infraction pour laquelle ils étaient renvoyés devant la cour. Le premier a ainsi été condamné à 3 ans d’emprisonnement dont 30 mois avec sursis et le second à 3 années d’emprisonnement dont deux ans avec sursis, leur permettant ainsi de ne pas retourner en détention.

Dans le sillage du réquisitoire du ministère public, Yusuf Cinar et Priscillia Mangel ont respectivement été reconnus coupables d’apologie du terrorisme aggravée et de provocation au terrorisme aggravée et condamnés à un an de prison ferme et trois ans avec sursis, soit la peine la plus légère. Devant une horde de journalistes, les avocats d’Abdelhakim Sefrioui ont d’ores et déjà annoncé vouloir faire appel.