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Affront

Propos de Valls sur le recensement à Mayotte : «Un dénigrement indécent», pour le directeur de l’Insee

Cyclone Chidodossier
Après les déclarations de Bayrou et de Valls, qui estime qu’«aujourd’hui, on n’est sans doute pas loin des 500 000 habitants» dans l’archipel, Jean-Luc Tavernier défend le travail de l’institut, qui en recense officiellement 321 000.
Le 6 janvier 2025 à Sohoa, un village de Mayotte. (JULIEN DE ROSA/AFP)
publié le 11 janvier 2025 à 11h23

Même s’il ne peut le dire, Jean-Luc Tavernier, le directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), n’a pas vraiment apprécié la sortie de Manuel Valls. Le 7 janvier, le ministre des Outre-mer a promis qu’un recensement sera bientôt lancé à Mayotte, dévasté par le cyclone Chido, «parce que sans doute, aujourd’hui, on n’est pas loin des 500 000 habitants», soit bien plus que les 321 000 âmes officiellement recensées par l’Insee au 1er janvier 2024. «Je suis obligé de réagir», nous indique Jean-Luc Tavernier, qui juge «indécent» de voir le travail de l’institut ainsi «dénigré par des responsables politiques locaux et nationaux».

Sur son compte LinkedIn, il rend hommage à ses collègues de Mayotte, «confrontés aux discours de toutes celles et ceux qui croient, mieux qu’eux, savoir le nombre d’habitants». Le statisticien rappelle que ses agents vont «chaque année, dans tous les quartiers, même les quartiers où personne n’allait, pour identifier et cartographier l’habitat formel et informel». Il précise à Libération que tous les habitants sont répertoriés, qu’ils soient français ou étrangers, en situation régulière ou non. Une précision essentielle, puisque la polémique sur les chiffres est liée à l’immigration clandestine à Mayotte, où près de la moitié de la population est d’origine étrangère. Pour les élus locaux, et visiblement pour Manuel Valls, les sans-papiers, en majorité d’origine comorienne, ne seraient pas pris en compte par l’Insee. Or une population sous-estimée, ce serait autant de dotations de l’Etat en moins pour les collectivités, et des services publics saturés faute d’être calibrés pour le nombre réel d’administrés.

«Pas de bras, pas de chocolat»

François Bayrou, lors de son passage éclair dans le département en ruines, fin décembre, avait déjà plaidé pour le lancement d’un «recensement général et précis». Est-ce à dire que celui effectué depuis quatre ans déjà par l’Insee à Mayotte, de façon identique à ce qui est fait en métropole, est partiel et imprécis ? Jean-Luc Tavernier n’est cette fois «pas choqué» et estime même que le Premier ministre «a raison». La cinquième vague du recensement, qui devait commencer dans les prochaines semaines, a été annulée sine die. Car d’une part les agents de l’Insee, dont beaucoup ont perdu leur toit, sont encore «à la recherche d’eau, d’électricité, de nourriture» ; d’autre part, des Mahorais sont partis à la Réunion ou en métropole, et des immigrés clandestins sont retournés chez eux. «Il faut donc attendre que la population se stabilise.»

Le directeur général croit avoir compris que l’exécutif souhaitait désormais un recensement annuel global, un one shot dans l’ensemble des communes de Mayotte, comme cela se faisait partout en France jusqu’en 2004. La procédure avait été remplacée par des cycles d’enquêtes de cinq ans, pour des raisons financières. «On sait le faire, mais il faudra un budget adéquat. Pas de bras, pas de chocolat», prévient d’emblée Jean-Luc Tavernier. Si la forme évolue, le fond ne devrait toutefois pas changer. «J’ai la conviction que nos chiffres de la population d’avant Chido étaient robustes, à 10 000 ou 20 000 près. Nous acceptons qu’ils soient critiqués mais cela doit être un minimum argumenté et documenté.» Pour le spécialiste, il y aurait donc bien un peu plus de 300 000 habitants à Mayotte, sans commune mesure avec «les chiffres les plus fous qui circulent là-bas, 350, 400, voire 500 000».

Mise à jour le 15 janvier avec des précisions sur les propos de Jean-Luc Tavernier