Sur le moment, il n’a pas saisi l’embrouille. «J’avais trouvé un restaurant prêt à m’embaucher en cuisine. Le patron m’a proposé le statut d’apprenti, ça le soulageait un peu niveau charges sociales.» Nino (1), 26 ans, venait de se découvrir une passion cuisine, après un job d’été. Partager son temps entre un restau et l’école lui semblait donc une bonne formule.
Mais dès la journée de pré-rentrée en CAP, le centre de formation d’apprentis (CFA), en lien avec le patron, lui sort : «Pas besoin de te déplacer, tu apprendras aussi bien en restant à l’entreprise toute la semaine.» Nino ne tilte pas car «en échange, mon chef m’avait promis un salaire niveau smic». Mais dès la fin du premier mois, il déchante : le salaire est moins élevé que prévu, et il avale les horaires. Du 8 heures-23 heures. Au début, il est encadré par un «second», mais qui finit par partir. «Très vite, je me suis retrouvé avec beaucoup de responsabilités. Comme un employé à part entière.»
«Le CFA ne m’a pas du tout aidé»
Au bout de quelques mois, il a sous ses ordres un autre apprenti et un commis… Rincé, il finit par craquer et pose sa lettre de démission. «Le CFA ne m’a pas du tout aidé. Aucun soutien, presque l’inverse. Avec cette rengaine que les jeunes ne veulent pas travailler. Comme si c’était nous le problème. Ça ne donne pas une bonne image de l’apprentissage.» Un responsable pédagogique de CFA, préférant rester anonyme, s’inquiète : il y a urgence à dénoncer ces abus, côté CFA ou côté entreprises, quand les patrons confondent apprentis et main-d’œuvre corvéable à merci. «Encore moins chère que les stagiaires ! L’apprentissage, c’est leur premier contact avec le marché de l’emploi. En laissant faire, on crée une génération de jeunes écœurés.»
Enquête
Désiré (1), 22 ans, aussi peut en parler. Camerounais en France depuis deux ans, il se rêvait «un jour avocat». Plutôt que l’université – «les bourses sont compliquées à obtenir» –, il s’est laissé tenter, comme beaucoup de jeunes, par ces écoles privées, proposant des «masters spécialisés», et autres «masters of science» : «Il y en a tellement. C’est très facile d’y rentrer. Les sites internet vendent du rêve, comme préparer au barreau d’avocat. J’y ai cru.» Désiré signe, l’année coûte 12 000 euros, mais les frais d’inscription sont pris en charge par l’entreprise qui le prendra en alternance. «Toutes les écoles promettent de t’aider pour trouver une entreprise… Du rêve encore.» Désiré mettra un an pour trouver un patron. Entre-temps, il passe par quatre écoles différentes, allant de déconvenue en déconvenue.
«Ils étaient coincés»
Dans la dernière, l’administration annonce la veille de la rentrée avoir perdu son titre RNCP – qui prouve la reconnaissance de la formation par l’Etat – pour sept de ses cursus. Seule une conserve encore la certification, sésame pour toucher les financements publics de l’apprentissage. «On s’est retrouvé à 300 dans la promo, beaucoup par défaut. Ils étaient coincés.» En racontant, l’émotion le rattrape. Il explique ne pas pouvoir se confier à ses proches au Cameroun, qui l’imaginent dans une belle école française. «S’ils savaient… Mon établissement ne sait même pas le poste que j’occupe en entreprise. Ils s’en fichent. La seule chose qui les intéresse, c’est de signer pour avoir l’argent.»
(1) Les prénoms ont été changés.