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Libération
Interview

Lourdes : «Nous, les évêques, ne sommes pas des êtres sacrés en dehors de l’humanité»

Pascal Wintzer décortique pour «Libération» certaines réformes nécessaires au sein de l’Eglise catholique, tant sur le plan des affaires que sur des évolutions de fond (mariage des prêtres, femmes diacres…), alors que s’ouvre ce mardi l’assemblée plénière des évêques, à Lourdes.
Lors de la Conférence des évêques de France organisée à Lourdes en novembre 2022. (Charly Triballeau/AFP)
publié le 28 mars 2023 à 6h51

Pascal Wintzer est l’une des personnalités les plus ouvertes de l’épiscopat catholique français. Depuis onze ans, il est archevêque de Poitiers et vient de publier Abus sexuels dans l’Eglise catholique, des scandales aux réformes, chez Gallimard, coll. Tracts. Avant l’assemblée plénière des évêques, qui s’ouvre ce mardi à Lourdes, il revient sur la crise majeure du catholicisme hexagonal.

La dernière assemblée de l’épiscopat, en novembre 2022, avait été particulièrement dramatique du fait des révélations d’abus commis dans le passé par des évêques, notamment l’affaire concernant le cardinal Jean-Pierre Ricard. Dans quel état d’esprit êtes-vous avant de retrouver, de mardi à vendredi, la centaine de vos collègues ?

Des manières de faire et des comportements doivent réellement changer dans l’Eglise catholique. Mais je suis plutôt confiant. Pour deux raisons. Beaucoup d’évêques ont rencontré et écouté des victimes de violences sexuelles ; ce qui ne laisse pas indemne. Et les neuf groupes mis en place après la remise du rapport de la Ciase – je participais à l’un d’entre eux – ont accompli un travail sérieux et objectif, s’attelant aux causes de la non-prise en compte, dans le passé, de ces crimes et de ces délits liés aux violences sexuelles.

Dans votre texte, vous écrivez que vous avez pensé, face au scandale de la pédocriminalité, à une démission collective des évêques. Pourquoi ?

J’y ai davantage songé à l’automne dernier qu’en octobre 2021. Lors de la remise du rapport de la Ciase, les neuf groupes de travail ont été mis en place – ce qui me fait dire, comme à d’autres évêques, que nous étions dans l’action. A l’automne, nous apprenions que des évêques avaient commis de tels actes, notamment un ancien président de la Conférence des évêques de France (CEF) [le cardinal Ricard, ndlr]. Un coup de massue ! Malgré leur comportement, ces évêques ont accepté des charges importantes dans l’Eglise. Nous avions voulu regagner de la crédibilité, et là, c’était le mensonge qui apparaissait, suscitant à nouveau un sentiment de honte, de discrédit.

Issu de la réflexion des neuf groupes de travail, un rapport aux évêques, transmis le 15 mars, contient une soixantaine de propositions. Qu’est-ce qui est le plus urgent, selon vous ?

C’est de protéger les personnes qui pourraient être victimes. C’est d’ailleurs une urgence pour tout citoyen. En ce qui concerne le fonctionnement de l’Eglise catholique, nous devons développer le travail avec d’autres que nous-mêmes, les prêtres et les évêques. Nous n’avons pas à avoir peur d’une parole autre que la nôtre, d’autres expertises. Ou même de contradicteurs. Nous ne sommes pas entourés de gens qui nous veulent du mal. Dans tout groupe humain, une parole autre que la sienne donne du poids aux décisions. Quelle qu’elle soit, elle déstabilise mais elle fait grandir en force et en résolution.

Parmi les propositions contenues dans le rapport des neuf groupes de travail figure l’intégration de laïcs au conseil permanent de la CEF, jusqu’à présent composé exclusivement d’évêques. Y êtes-vous favorable ?

Tout à fait. J’étais moi-même dans le groupe de travail qui a porté ce sujet.

Sont évoqués aussi l’accès au diaconat pour les femmes et l’expérimentation de l’ordination d’hommes mariés. Est-ce envisageable ?

Je ne sais pas si ces questions seront ou non explicitées à Lourdes. Pour ma part, je crois que le lieu pour en parler est plutôt le synode général [des réunions sont prévues à Rome en octobre 2023 et octobre 2024 pour réfléchir à la décentralisation de l’Eglise catholique, ndlr]. Ce n’est pas seulement une question franco-française. L’Eglise allemande vient, de fait, de s’exprimer favorablement sur ces deux demandes. Si ces questions sont mentionnées dans le rapport, cela permet une ouverture de la réflexion. Cependant, le fait de confier des responsabilités à d’autres que les prêtres et les évêques – notamment à des femmes – ne doit pas dépendre de la réponse qui pourrait y être apportée. Dès maintenant, il nous faut développer à leur égard de nouvelles responsabilités.

Dans le passé, vous vous êtes exprimé en faveur de l’ordination d’hommes mariés à la prêtrise. C’est toujours le cas ?

Je n’ai pas changé là-dessus. Cela existe chez les chrétiens orientaux et c’est quelque chose qui pourrait être bon pour les Eglises occidentales.

Dans votre texte, vous dites que vous êtes un «évêque empêché». Qu’est-ce que cela veut dire ?

J’ai eu ce sentiment après l’assemblée de novembre dernier au cours de laquelle plusieurs évêques ont été mis en cause, pour avoir commis des violences sexuelles ou pour les avoir couvertes. Je comprends le soupçon qui peut peser sur nous. Quelle capacité ai-je à parler quand la confiance est rompue ? Beaucoup de prêtres ont éprouvé eux aussi ce sentiment de défiance.

Vous plaidez pour un remodelage de la fonction d’évêque qui pourrait, par exemple, ne pas exercer sa charge à vie. Ou être, comme vous l’écrivez, un salarié ordinaire. Dans quel but ?

Certains ont une image des évêques qui en fait des hommes en dehors de l’humanité ordinaire à cause de notre célibat, de nos conditions de vie. Je ne sais pas de quelle manière nous pourrions remédier à cela. Les discours seuls ne le peuvent pas. Il faut également des actes. Nous ne sommes pas des êtres sacrés en dehors de l’humanité. D’où, pour moi, l’idée de pouvoir ordonner des hommes mariés. Certains prêtres pourraient être mariés, d’autres célibataires. Je reviens à nos conditions de vie. La plupart d’entre nous ne vivent pas hors sol. Mais certains peut-être…