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Affaire abbé Pierre : des évêques français «ont su» dès les années 50, nouvelles révélations sur sa double vie en Suisse

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Le président de la Conférence des évêques de France a évoqué ce lundi 16 septembre le «comportement grave à l’égard des femmes» du prêtre. Il aurait aussi fréquenté une maison close à Genève et eu une liaison avec une femme de la communauté Emmaüs, selon la Radio télévision suisse (RTS).
L'abbé Pierre en janvier 1996. (Micheline Pelletier/Sygma.Getty Images)
publié le 16 septembre 2024 à 12h27

Sept semaines après de premières révélations l’accusant d’agressions sexuelles, témoignages et révélations s’accumulent contre l’abbé Pierre. Ce lundi 16 septembre, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Eric de Moulins-Beaufort, confirme dans une tribune au Monde que plusieurs dirigeants de l’Eglise catholique française étaient au courant de ces agissements. «Il est désormais établi que, dès 1955-1957, quelques évêques au moins ont su que l’abbé Pierre avait un comportement grave à l’égard des femmes», souligne le président de la CEF. Il ajoute que «des mesures ont été prises, dont une cure psychiatrique», et qu’un adjoint (dit «socius») avait été désigné pour accompagner le fondateur d’Emmaüs, qu’il s’est visiblement «ingénié à tromper».

L’archevêque de Reims souligne aussi que «l’on savait, au moins dans certains cercles d’Emmaüs, l’abbé Pierre étant encore vivant, qu’il devait être surveillé parce qu’il était dangereux pour les femmes qui s’approchaient de lui».

«Terrible pécheur»

Réaffirmant «le travail de l’Eglise en France pour que la vérité soit faite sur les faits d’agressions», Eric de Moulins-Beaufort plaide pour que le Vatican «se livre à une étude de ses archives» et «dise ce que le Saint-Siège a su et quand il l’a su». Vendredi soir, le pape François avait fait savoir que le Saint-Siège avait été informé, a minima après la mort du religieux, des accusations le visant, qualifiant ce dernier «de terrible pécheur».

Si elles ne s’apparentent pas à des faits pénalement répréhensibles, d’autres révélations de la Radio télévision suisse (RTS), diffusées dimanche, viennent écorner encore un peu plus le passé – décidément pas du tout chaste – d’Henri Grouès (le vrai nom de l’abbé Pierre). Selon la cellule enquête de la radio-télé publique suisse, l’abbé avait ses habitudes à Genève dans l’Hôtel International Terminus, à quelques pas du quartier des Paquis, où se trouvent plusieurs maisons closes de la ville. Il y menait «une double vie» selon les termes utilisés par l’auteur de l’enquête. Il fréquente alors la maison close d’une célèbre prostituée, Grisélidis Real, qui le reconnaît.

Sur TF1, une parole restée sans suites dès 1990

Dans une archive exhumée par la RTS, cette dernière en témoigne même sur TF1, le 15 mai 1990. Dans l’émission Ciel mon mardi !, devant un Christophe Dechavanne ahuri, elle raconte : «La patronne nous avait dit : “Venez regarder par le trou de serrure de la salle de bains, il y a quelqu’un qui attend son tour, quelqu’un d’extraordinaire qui a fait beaucoup de bien à l’humanité.”» «Jamais je n’en ai parlé mais aujourd’hui, je ne peux plus me taire. C’était un abbé, c’était l’abbé Pierre», lâche-t-elle dans un silence de mort, seulement troublé par quelques protestations de l’assistance.

Mais le grand public n’est semble-t-il pas encore prêt à entendre cette parole. Elle restera sans suite pour l’abbé Pierre mais aura de lourdes de conséquences pour Grisélidis Real, conspuée et victime de menaces et de lettres d’insultes. Dans son enquête, le média suisse révèle également que l’abbé Pierre entretenait une relation régulière avec une femme de la communauté Emmaüs de Genève. Cette femme «l’accompagnait parfois en secret lors de ses déplacements». Là encore rien de répréhensible, mais révélateur du double jeu pratiqué par le religieux.