Le regard triste, Sylvie passe en revue la place du port, à Créteil, où est installée sa boulangerie. «Regardez, c’est complètement vide.» On est jeudi après-midi et l’endroit, connu pour abriter de nombreux commerces casher de la préfecture du Val-de-Marne, est désert. Celui de Sylvie, elle-même de confession juive, n’échappe pas à la règle : «On a perdu facilement un quart de notre clientèle. Tout le monde sait qu’il y a des Juifs ici. Avec ce qu’il se passe en Israël, on nous dit de faire attention. On s’attend à ce que ça pète à tout moment, alors les gens évitent le coin.» Avec quelque 20 000 membres, soit plus d’un habitant sur cinq, Créteil est la ville de la banlieue parisienne où la communauté juive est la plus représentée.
Dans la supérette de la place, Mordehai fait le même constat que Sylvie. Kippa sur la tête, avachi sur une chaise derrière la caisse, le sexagénaire a les yeux rivés sur un site d’information israélien. Des notifications de la chaîne d’information i24 News arrivent aussi par salves sur son téléphone. A la veille de shabbat, sa boutique devrait être particulièrement animée, jure-t-il. Mais ce jeudi, les clients se font rares : «Les gens ont peur, alors ils ne sortent que quand ils en ont vraiment besoin. Ils viennent en coup de vent et ne s’attardent pas. On sait que quand il se passe quelque chose là-bas, ça a des répercussions ici.»