Le long périple à pied du chemin de Compostelle qui relie la France ou le Portugal à l’Espagne, nécessite de se surpasser physiquement et psychologiquement. Les femmes, elles, doivent venir à bout d’une autre adversité : les agressions sexuelles. Le quotidien britannique The Guardian publie ce lundi 11 novembre une série de témoignages de femmes qui en ont été victimes, comme Rosie.
Au début de l’été, la femme de 25 ans traverse une forêt portugaise, sur le parcours qui relie Lisbonne à Saint-Jacques-de-Compostelle. Elle croise alors un homme sans pantalon, qui la regarde tout en se masturbant. Il se met à la suivre, avant qu’elle ne s’enfuie en courant, ralentie par son sac à dos de 10 kilos. «C’était terrifiant», raconte-t-elle. Ce sentiment de vulnérabilité et d’insécurité, qui ne l’a plus jamais quittée, est partagé par de nombreuses autres marcheuses solo.
A lire aussi
«Cet élément supplémentaire auquel les randonneuses sont confrontées, cet énorme problème de sécurité, affecte complètement leur capacité à relever ces autres défis ou à en profiter comme le font les autres», analyse Rosie. Les autorités locales portugaises ont déclaré avoir reçu cinq autres signalements de pèlerines, tous liés à des incidents d’exhibitionnisme, sans pour autant avoir identifié un suspect ni effectué d’arrestation. «Ce n’est pas un incident isolé», assure Rosie, après que d’autres femmes se sont confiées à elle. Cela se produit partout autour de nous, […] je connais tellement d’autres personnes à qui cela est arrivé.»
«Interpellées, agressées, victimes d’exhibitionnistes»
En 2023, plus de 446 000 pèlerins se sont lancé le défi de parcourir tout ou partie du chemin de Compostelle, dont 53 % de femmes. Beaucoup tentent l’aventure en solo, malgré les risques d’agressions sexuelles. «Le harcèlement sexuel est endémique sur le Camino», affirme au Guardian Lorena Gaibor, fondatrice d’un forum en ligne qui met en relation des femmes pèlerines depuis 2015, appelé Camigas. «Cela semble très courant. Chaque année, nous recevons des témoignages de femmes qui subissent les mêmes choses», indique-t-elle. Les chemins sont populaires, et la présence connue de femmes seules sur le parcours renforce leur vulnérabilité. Une enquête sur le Camino, publiée en 2021 par la journaliste française Marie Albert, faisait déjà ce constat : «J’y ai subi un harcèlement sexuel incessant, comme d’autres pèlerines. Nous sommes interpellées, agressées, victimes d’exhibitionnistes.»
Huit autres femmes ont accepté de raconter leur expérience au quotidien britannique, affirmant avoir été victimes de harcèlement sexuel sur les différents chemins de Compostelle ces cinq dernières années, que ce soit au Portugal, en Espagne ou en France. Plusieurs d’entre elles affirment même avoir craint pour leur vie. C’est le cas de Sara Dhooma. En 2019, la Canadienne traverse Mieres, une ville du nord de l’Espagne, lorsqu’elle remarque qu’un homme la suit. Elle se réfugie dans un café, mais au moment de reprendre son chemin, ce même homme l’attend sur un tronçon du chemin. Il ouvre son pantalon et attrape ses parties génitales, avant de s’avancer vers elle. «Je me suis sentie très, très en danger à ce moment-là.» Elle s’enfuit, mais il la poursuit. «Je ne savais pas s’il avait une arme, je ne savais pas ce qu’il voulait faire. Je pensais que j’allais mourir, je pensais qu’il allait me faire du mal.» Elle repère une maison où de la fumée s’échappe de la cheminée, et appelle à l’aide. Un policier en sort et met Sara Dhooma à l’abri. Après enquête, l’homme avait un couteau et des balles dans son sac à dos. Il avait également déjà été condamné pour viol.
Dans les Landes ou les Pyrénées-Orientales
L’insécurité des randonneuses sur le chemin de Compostelle a éclaté au grand jour en 2015, lorsqu’un Espagnol de 41 ans assassinait une Américaine de 40 ans. Il avait attiré la victime jusque chez lui en plaçant de faux panneaux d’indication sur le chemin. Deux ans plus tard, il a été condamné à 23 ans de prison. Depuis, les faits divers de violences sexuelles sur le Camino se multiplient, y compris dans la presse locale française, démontrant un enjeu systémique plutôt qu’isolé. En octobre 2023, un habitant des Landes agressait sexuellement une Danoise de 37 ans en lui touchant les fesses et le sexe. En mars 2024, un signalement et une plainte étaient déposés par deux randonneuses, une Suissesse et une Française, pour des agressions sexuelles successives commises dans un gîte près du parcours, dans les Pyrénées-Atlantiques. Les plaintes sont rares et les condamnations encore plus. Parmi les neuf femmes qui ont parlé au Guardian, six ont signalé les incidents à la police. Dans un seul cas, l’auteur des faits a été retrouvé et poursuivi.
De l’autre côté de la frontière pyrénéenne, les autorités espagnoles avancent timidement sur le sujet. En 2021, le gouvernement a lancé une campagne de sécurité à travers la Galice, pour informer les femmes sur la manière de contacter les services d’urgence. Le corps national de gendarmerie espagnol, la Guardia Civil, aurait également renforcé ses patrouilles sur plusieurs itinéraires pour lutter contre ces incidents, en particulier d’exhibition sexuelle. Un protocole exige également que les forces de sécurité soient dépêchées chaque fois qu’un pèlerin ou une pèlerine appelle. Même chose pour la police portugaise, qui a augmenté le nombre de rondes entre mai et octobre, afin de mieux protéger les femmes le long du chemin.