Elles ne s’attendaient pas à «créer la polémique». Dimanche 3 avril, le collectif catholique «Féminisme en Eglise» a organisé une messe «féministe», dans laquelle tous les textes bibliques ont été lus par une femme, l’Evangile compris. Ce texte, qui consigne la vie et l’enseignement de Jésus Christ, est d’ordinaire proclamé par un prêtre ou un diacre, comme le droit canonique le prescrit. «On avait le besoin de vivre la liturgie différemment», se justifient auprès de Libération et sous couvert d’anonymat deux membres du groupe, qui a réuni entre 40 et 50 personnes lors de cet évènement pionnier en France, tenu dans une chapelle du VIe arrondissement de Paris. Mais cette démarche «inclusive» n’a pas été au goût de tous : sur les réseaux sociaux, plusieurs «groupes traditionalistes», selon les militantes, l’ont vertement critiqué. En cause notamment, l’ajout d’un «e» inclusif au mot «Dieu» sur l’affiche de l’évènement. Deux jours plus tard, «Féminisme en Eglise» est exclu de la paroisse Saint-Pierre de Montrouge. Depuis 2020, le groupe y organisait des conférences où se succédaient théologiennes et enseignantes, pour parler de la place de la femme dans l’Eglise.
Dans un message publié sur le site de la paroisse, le curé Denis Branchu déclare ne pas avoir été mis au courant de la messe, ni du logo de son église présent sur l’affiche qui promouvait l’évènement. Le diocèse de Paris, de son côté, regrette une «initiative qui dessert l’unité et la communion». «On avait pourtant envoyé un mail, comme à chaque fois, aux 250 personnes inscrites sur notre site, dont le père Denis Branchu», se défend Féminisme en Eglise, encore «choqué» par cette décision unilatérale. Jusqu’à son éviction, jamais le curé ne s’était opposé aux actions du groupe, même quand «certaines invitées le dérangeaient», assure le collectif. Depuis l’annonce de son éviction, les tentatives d’explication avec la paroisse ou le diocèse sont restées lettre morte, et les messages de fidèles qui menacent de ne plus donner d’argent à la paroisse si ce type de messes avaient de nouveau lieu abondent. «Cette polémique à l’avantage de montrer à quel point l’Eglise catholique entretient sa misogynie», témoigne une membre de Féminisme en Eglise. Contactés par Libération, ni la paroisse Saint-Pierre de Montrouge ni le diocèse de Paris n’ont répondu à nos sollicitations.
«On essaye d’être solidaires entre nous»
Du côté des autres collectifs féministes catholiques, tous affichent un soutien sans faille à Féminisme en Eglise, et prévoient la rédaction d’un communiqué commun. «On a été très surprises par la rapidité et la brutalité de la sanction. Ça nous paraît d’autant plus incompréhensible quand on voit qu’il a fallu des décennies à l’Eglise pour que la pédocriminalité dans l’Eglise soit enfin reconnue», débute Annie Crépin, coprésidente de la FHEDLES, une association qui a pour but de «contribuer au changement des mentalités, des comportements et des langages» au sein de l’institution. «C’est hyper précieux d’avoir un groupe paroissial qui mène une réflexion féministe, c’est pour ça qu’il faut les défendre coûte que coûte», poursuit Alix Bayle, cofondatrice de Toutes apôtres, un collectif qui soutient depuis 2020 la candidature de sept femmes à des postes de diacre, curé, ou évêque, sans succès. «On a bien eu la nomination d’une femme, Nathalie Becquart, au Vatican, au poste de sous-secrétaire du synode des évêques [le parlement de l’Eglise catholique, ndlr] en février 2021. Mais son droit de vote ne représente rien statistiquement au vu du nombre d’hommes présents dans l’institution», déplore Alix Bayle. Ce «sexisme ambulant», incarné par des voix médiatiques comme la Manif pour tous, a profondément ébranlé cette mère de deux filles, au point qu’elle s’est progressivement éloignée de l’Eglise. «Je ne vais plus à la messe, et je refuse d’inscrire mes enfants au catéchisme, alors qu’elles sont baptisées. Mais comme je garde la foi, je me suis dit qu’il fallait militer pour changer les choses», développe-t-elle.
Prendre ses distances, Claire Conan-Vrinat y songe aussi «très sérieusement». Candidate au diaconat – le premier degré du sacrement de l’ordre –, cette membre de Toutes apôtres est celle qui a lu l’Evangile lors de la messe «féministe» du 3 avril. «C’était un passage sur la femme adultère, dans lequel Jésus refuse de condamner la pécheresse. Le moment était fort, beau, vivant ; tout le monde communiait avec amour», se souvient-elle. Mais au bonheur initial se succède rapidement une pluie d’attaques «sexistes» sur les réseaux sociaux, à son grand désarroi. «C’était très violent, c’est vrai, mais c’est peut-être la désolidarisation de l’institution qui m’a fait le plus de mal. Cette mécanique me fait vomir», confie Claire Conan Vrinat. «On essaye d’être solidaires entre nous, car on sait que la situation mettra du temps à changer», commente une membre de «Féminisme en Eglise». Avec un espoir : que la polémique n’éteigne pas leur action.