En choisissant de se rendre en Corse, le 15 décembre 2024, plutôt que d’assister à la grandiose réouverture de Notre-Dame de Paris, quelques jours plus tôt, le pape argentin, mort le 21 avril à 88 ans après 12 ans de règne, a laissé croire qu’il n’aimait pas la France, ranimant, au crépuscule de son pontificat, des polémiques allumées les années précédentes. François aurait-il dédaigné la France, comme d’aucuns le lui ont reproché ? A y regarder de près, l’accusation tient mal. Certes, le pape François était moins francophile que ses deux prédécesseurs, Jean Paul II et Benoît XVI, francophones tous les deux – l’un et l’autre étaient fréquemment venus en France, que ce soit avant ou après leur élection. Mais cela ne suffit pas à en faire un ennemi de la France
En fait, l’un des axes forts du pontificat de François a été son attention portée à ce qu’il appelait les périphéries: géographiques, géopolitiques ou existentielles (c’est-à-dire, les marginalisés des sociétés). Pour ses voyages, il a donc privilégié les petits pays, voyageant peu dans les grandes puissances, à deux ou trois exceptions près (les Etats-Unis et le Japon, un pays où il rêvait d’être missionnaire au temps de sa jeunesse). Le pape, fidèle à cette ligne de conduite, avait réservé son premier déplacement en Europe hors d’Italie, en septembre 2014, à l’Albanie, l’un des pays les plus pauvres du continent.
«A Marseille, pas en France»
Mais deux mois plus tard, le Saint-Père débarquait à Strasbourg pour prononcer un vigoureux discours devant le Parlement européen. Le malentendu commençait alors entre Bergoglio et la France: car le voyage était officiellement consacré aux institutions européennes. Hors, en se cantonnant strictement à son programme (Parlement européen et Conseil de l’Europe) et en ne mettant même pas les pieds dans la magnifique cathédrale de la ville, le pape François fera tiquer dans l’Hexagone.
Neuf ans après, en 2023, la polémique ressurgit. François expliquant, en préambule de son nouveau voyage, qu’il venait «à Marseille et non pas en France». Ces mots ayant du mal à passer, il rattrapait le coup à la gigantesque messe au Vélodrome. Au début de la cérémonie, il lançait, souriant et en français, un «bonjour Marseille, bonjour la France» copieusement applaudi.
En tout état de cause, le pontife n’a pas délaissé la France : il y est venu trois fois alors que ni l’Allemagne, ni l’Espagne, ni le Royaume-Uni, grandes nations marquées par le christianisme, ne l’ont accueilli. S’il y a eu malentendu, c’est plutôt entre le jésuite argentin, pape du Sud global, et l’Europe, prise dans son ensemble. A Rome, parmi ses détracteurs, certains considéraient qu’il avait eu tort de délaisser le Vieux continent qui a modelé intellectuellement le christianisme grâce à sa théologie. Intellectuel de la Mitteleuropa, Benoît XVI considérait, lui, que l’effondrement du christianisme en Europe – qui s’est poursuivi sous le pontificat de François – était une question centrale.
Thérèse de Lisieux
L’idée d’un mépris de François pour la France tient d’autant moins que le pontife argentin était profondément imprégné de culture française. Une de ses grandes références intellectuelles était le philosophe et jésuite Michel de Certeau qu’il a très souvent cité dans les textes de son pontificat. Dans la vie de Bergoglio, la plus haute figure spirituelle, la sainte catholique qui l’a le plus marqué, était Thérèse de Lisieux, une carmélite qui a eu beaucoup d’influence sur le catholicisme français du XXe siècle. Dans son panthéon, on trouve également un des premiers compagnons d’Ignace de Loyola, Pierre Favre, un jésuite savoyard du XVIe siècle, qu’il fera canoniser. Formé religieusement dans les années cinquante et soixante, le pape François a également beaucoup été marqué deux grands théologiens français, Henri de Lubac et Yves Congar qui ont pensé la réforme de l’Eglise catholique mise en œuvre au concile Vatican II.
François était également nourri de littérature française. Dans la première homélie de son pontificat, sous les ors de la chapelle Sixtine, le jésuite avait cité l’écrivain Léon Bloy. Et il a consacré un important texte de son pontificat à Blaise Pascal pour les 400 ans de sa naissance, estimant que celui-ci avait «parlé de la condition humaine de façon admirable».