Le film prémonitoire : «Habemus Papam», de Nanni Moretti (2011)
L‘homme qui ne voulait pas être pape. A peine élu, le cardinal français Melville (Michel Piccoli) est tétanisé. Le poids de la fonction, l’ampleur de la tâche, les responsabilités… Finalement, comme Bartleby, il «préférerait ne pas». Il se calfeutre. Le Vatican panique. Le néopape, submergé, finit par fuguer. Ramené au balcon, il renonce. «Le pape selon Moretti est un acteur, un névrosé, un sportif amateur, un imbécile au sens tragique du terme : un homme», écrivait Libé lors de sa sortie en salles en 2011. Ce parti pris iconoclaste de Nanni Moretti, mettant en scène un pape au fond très moderne, n’a suscité que relativement peu d’hostilité dans les milieux catholiques. Lors de la présentation du film à Cannes, Libé notait : «Aucune congrégation de fans du Christ en croix n’a jeté des hosties avariées sur les festivaliers, hier matin, pour la projection de presse, ni tenté de faire la montée des marches à genoux en récitant des Notre Père. On était presque déçu.»
Surtout, le film se montrera étrangement prémonitoire, car il sort en salles deux ans avant la renonciation de Benoît XVI, en 2013. Interrogé, Nanni Moretti commentait alors : «Je cherchais à raconter l’irruption dans l’Histoire, avec une majuscule, de la crise vécue par un homme qui n’accepte pas de faire prévaloir son rôle, aussi sacré et puissant qu’il soit, sur sa propre nature humaine.»
En 2025, le Melville de Moretti ne serait-il pas incarné par l’archevêque de Rabat (Maroc), Cristobal Lopez Romero, qui a déclaré, à quatre jours du conclave, cette phrase inspirante : «Si je suis élu, je m’enfuis en Sicile.» «Je n’ai absolument aucune ambition. Je ne pourrais jamais m’imaginer dans ce rôle», avait affirmé au quotidien Il Messaggero le cardinal espagnol. Il peut pourtant, techniquement, malgré tout et surtout malgré lui, être élu pape.
Le film plus vrai que nature : «Conclave», d’Edward Berger (2024)
Voilà un autre film prémonitoire et grand succès actuel des plateformes VOD, qu’on a même vu revenir en salles : Conclave, le thriller clérical d’Edward Berger est sans nul doute galvanisé par l’élection à venir. Lors de sa sortie en salles fin 2024, Libé décrivait des scènes qu’on imagine bien se tenir en ce moment même du côté de la résidence Sainte-Marthe, où les 133 cardinaux électeurs de moins de 80 ans fomentent l’avenir de la papauté mondiale : «Respirations lourdes de vieilles personnes aux prises avec leur enfer personnel. Silhouettes subclaquantes soliloquant, la tête lourde et le pas traînant, le long d’interminables couloirs de marbre. On n’est ni aux urgences ni à l’Ehpad mais au Vatican.»
Si on a pu regretter le manque de souffle du film malgré le faste de la chapelle Sixtine reconstituée aux studios Cinecittà et voir un Ralph Fiennes «exceptionnel» en cardinal Lawrence, le film fascine par son réalisme – CheckNews a listé les éléments du film conformes au protocole, comme les scellés à la cire apposés sur les portes de l’appartement papal juste après sa mort ou la mise en place de brouilleurs «installés pour empêcher tout signal de s’échapper de l’intérieur de la chapelle du XVe siècle», comme l’expliquait lors du précédent conclave l’agence Reuters.
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La série «The Young Pope» : un pape si pompier (2016)
Peu de réalisme en revanche dans cette série de Paolo Sorrentino, où Jude Law joue un très jeune pape italo-américain (47 ans, autant dire une aberration dans un monde où la fonction papale s’endosse à vie et où aucun cardinal ne voudrait voter pour un pontife si jeune).
La série fait la description d’un pape excentrique, autoritaire, ambigu. «Quel est le rapport entre Salinger, Banksy, les Daft Punk et Pie XIII, le héros torve de The Young Pope interprété avec une certaine maestria par le toujours sémillant Jude Law ? Ils ne veulent pas qu’on voie leur tête, ils veulent rester cachés et que leur emprise grandisse dans le champ paradoxal de l’hyper-notoriété et de l’anonymat absolu», écrivait Libé lors de la diffusion de la série, notant : «Il s’agit de déstabiliser le schéma trop simple d’une lutte entre progressistes et réacs en inventant une figure papale travaillant à brouiller les pistes, donc les esprits, pour contester Dieu, l’Eglise ou pour qu’ils en sortent, in fine, glorieusement consolidés.»
A la fin de la première saison, le pape extravaganza finira terrassé par une crise cardiaque place Saint-Pierre – un scénario, si l’on y songe, pas si éloigné de la fin de vie de François, mort d’un AVC et envoyé ad patres quelques heures après sa bénédiction urbi et orbi de Pâques, place Saint-Pierre. En 2020, The Young Pope revient en The New Pope, avec un successeur, note Libé, «tenant de la voie médiane, un Jean Paul III, aristocrate spleenétique (il porte du khôl, c’est dire s’il est malheureux) interprété par un John Malkovich à la diction trop impeccable.» A voir si le successeur de François sera lui aussi un «tenant de la voie médiane»…