Une infirmière qui avait soigné l’abbé Pierre dans un hôpital militaire francilien, en 2006, accuse le religieux d‘agression sexuelle, ce samedi 20 juillet auprès de France Inter. Ce nouveau témoignage vient s’ajouter à ceux de sept femmes, rendus publics mercredi dans un rapport indépendant, dont trois sont en outre corroborés ce samedi par des membres de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase).
Auprès de la radio publique, la soignante explique que les faits ont eu lieu une nuit, alors qu’elle «accompagnait» l’abbé Pierre «à sa toilette». «Il s’est levé, il a marché, il m’a agrippé les deux seins», se remémore-t-elle, précisant qu’elle lui a alors asséné une gifle. Le religieux de 93 ans à l’époque était «en pleine possession de ses moyens», juge-t-elle. Lui avance «qu’il est vieux, fatigué, qu’il a besoin de se tenir», ajoute l’infirmière. Elle lui lance une réponse cinglante : «Dans cette grande chambre, vous n’avez trouvé que mes seins pour vous tenir ?»
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D’après son récit à France Inter, l’infirmière a ensuite rapporté les faits à ses supérieurs ainsi qu’à d’autres soignants. Elle se rend alors compte que l’abbé Pierre est «coutumier du fait», car «deux ou trois autres» de ses collègues de l’hôpital auraient été victimes des mêmes attouchements. La victime n’a toutefois pas voulu communiquer plus largement sur son agression à l’époque, mettant en avant un devoir de «retenue» en tant que «soignante et ancienne militaire».
Aujourd’hui, l’infirmière assure s’être «rendu compte que ce n’est pas réglé», qu’elle «souffre» encore de cette agression par celui «qui n’est pas un saint». Selon France Inter, elle n’a pas encore décidé si elle allait répondre à la commission d’enquête, qui l’a contactée.
«Les évêques informés et les responsables d’Emmaüs ont étouffé les affaires»
Dans le même temps, quatre chercheurs de l’équipe de recherche socio-historique de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) déclarent dans une tribune sur le Monde «avoir disposé» depuis leur «enquête en 2019-2021» «d’informations établissant qu’Henri Grouès – l’abbé Pierre – avait commis des actes violant la civilité et la moralité communes, la législation pénale et les préceptes canoniques». Ils précisent que «parmi les quelque 1 200 témoignages traités par notre équipe, trois mettaient en cause l’abbé Pierre».
Selon la tribune publiée dans le Monde, ces femmes accusent le religieux d’avoir, dans les années 80-90, apposé ses mains sur leurs seins, les avoir embrassées de force, et même pour l’une d’entre elles qui se trouvait alors «dans une difficile situation personnelle», de l’avoir «utilisée» pour des «relations sexuelles, masturbation devant elle, fellation, flagellation, proposition de triolisme avec une autre femme». Les chercheurs de la Ciase disent que ces récits correspondent à trois témoignages compris dans le rapport Emmaüs. Au passage, ils ajoutent que d’après «les archives de l’Eglise», «on lui connaît un cas d’emprise» sur une femme.
Malgré ces paroles, «les évêques informés et les responsables d’Emmaüs ont étouffé les affaires», écrivent les membres de la commission indépendante. «Les témoignages de la Ciase ont conduit l’un d’entre nous à interroger le diocèse de Grenoble, dont dépendait l’abbé Pierre. Il a reconnu disposer de données, sans les avoir communiquées», précisent-ils. Pas mieux concernent «les dirigeants d’Emmaüs», qui se sont «contentés de mettre en garde de manière officieuse et elliptique des femmes» travaillant pour l’association, soulignent les auteurs de la tribune. Ils n’expliquent toutefois pas pourquoi eux-mêmes n’ont pas dévoilé ces informations.
Anne Lancien, ex-membre de la commission Sauvé sur les violences sexuelles dans l’église catholique, s’est justifiée sur cette absence d’alerte, ce dimanche sur France Info : «Le cas de l’abbé Pierre était déjà connu du grand public par des biographies publiées au début des années 1980. […] Pour nous, ce n’était pas le premier cas qui devait être révélé. On a révélé des noms lorsqu’ils étaient connus, lorsqu’il y avait risque de récidive, lorsque ces prêtres ou ces moines étaient encore en activité et qui n’avaient pas fait l’objet de révélation». La spécialiste du fait religieux estime toutefois qu’«il risque vraisemblablement d’y avoir d’autres révélations dans les jours qui viennent», car «plus la parole se libère, plus d’autres victimes osent parler par la suite».
Décryptage
L’abbé Pierre, mort en 2007, est accusé par plusieurs femmes d’agressions sexuelles, selon un rapport indépendant commandé par Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation abbé Pierre et publié mercredi. A la suite «d’un témoignage faisant état d’une agression sexuelle commise par l’Abbé Pierre sur une femme», un travail a été mené en interne par le cabinet expert de la prévention des violences Egaé, écrivent les trois associations dans un communiqué commun.
«Ce travail a permis de recueillir les témoignages de sept femmes qui font état de comportements pouvant s’apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel commis par l’abbé Pierre entre la fin des années 1970 et 2005», reconnaissent les trois organisations. Elles précisent aussi que l’une des victimes «était mineure au moment des premiers faits».
A la suite de ces premiers témoignages, un dispositif de recueil de témoignages et d’accompagnement, «strictement confidentiel, s’adressant aux personnes ayant été victime ou témoin de comportements inacceptables de la part de l’abbé Pierre», a été mis en place. On ignore encore si des signalements ont été transmis à la justice.
Mise à jour : ce dimanche 21 juillet à 11h47, avec l’ajout des propos tenus par Anne Lancien sur France Info.