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Islam de France : le Forif reçu à l’Elysée pour consolider son statut de premier interlocuteur de l’Etat

Emmanuel Macron échangera jeudi matin avec les représentants du Forum de l’islam de France, une nouvelle instance qui entre en concurrence avec le Conseil français du culte musulman (CFCM).
Lors de la première réunion du Forif, en présence de Gérald Darmanin, le 5 février 2022 à Paris. (Xose Bouzas/Hans Lucas. AFP)
publié le 16 février 2023 à 5h42

La politique a ses mystères. A l’heure de la mobilisation contre la réforme des retraites, l’Elysée ouvre ses portes, ce jeudi matin, aux leaders musulmans du Forum de l’islam de France (Forif), une soixantaine de personnes environ composant la nouvelle instance de dialogue avec l’Etat. Cette rapide session de travail de deux heures sera conclue par Emmanuel Macron lui-même. Le président de la République semble vouloir reprendre la main dans ce dossier. L’annonce de cette rencontre, «un symbole fort», selon un conseiller de l’Elysée, s’est faite au dernier moment. Et a un peu surpris. «Une façon de marquer, nous dit-on, le premier anniversaire du Forif», commente le «baron» de l’islam en Rhône-Alpes, Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon. Pour remplacer le Conseil français du culte musulman (CFCM), miné par les luttes intestines et les rivalités entre le Maroc et l’Algérie, le gouvernement avait lancé, l’an dernier, une vaste consultation dans les départements et mis sur pied ce Forif qui s’était réuni, le 5 février 2022, une première fois à Paris.

La solennité du lieu et la présence de Macron augurent-elles encore de changement ? «Le Président s’est déjà exprimé à plusieurs reprises sur l’islam pendant son premier quinquennat. Il ne faut pas attendre d’annonce particulière», assure l’Elysée. Sans mesure phare à l’issue de cette rencontre, il s’agit bien de consolider le Forif comme interlocuteur unique de l’Etat. Pour l’Elysée, le CFCM s’est «autosabordé», ce que dément son président par intérim, Mohammed Moussaoui, proche du Maroc. «Ce sont les fédérations qui ont fait dissidence qui nous ont fragilisés», réplique-t-il, dans une allusion à la fédération de la Grande Mosquée de Paris, proche de l’Algérie, au Rassemblement des musulmans de France et Musulmans de France, l‘ex-UOIF, proche des Frères musulmans.

Reprise en main des préfets

Pour tenter de sortir de l’ornière, le CFCM se réunit le week-end prochain, lors d’une assemblée générale extraordinaire pour modifier ses statuts. Le but, selon les explications de son président, est de prendre acte de la départementalisation de la représentation de l’islam de France et de remédier au poids trop important des grandes fédérations au sein de l’instance. Bref, afficher sa volonté d’être plus représentatif de la base. Un point qui a toujours constitué la faiblesse du CFCM.

Une guerre s’annoncerait-elle ? Moussaoui plaide pour une complémentarité entre le Forif et CFCM. Mais le gouvernement ne l’entend sans doute pas de cette oreille. Sur le terrain, les préfets ont nettement repris la main depuis deux ans, convoquant des assises territoriales de l’islam qui redémarrent ces jours-ci, désignant les représentants au Forif, travaillant à la mise en place d’associations pour représenter l’islam au niveau départemental. Depuis son lancement officiel, le Forif a poursuivi ses réflexions au sein de quatre groupes de travail : la sécurisation des lieux de cultes et les actes antimusulmans, le statut et la professionnalisation des imams, le statut et la désignation des aumôniers (armée, hôpitaux, prisons) et la mise en œuvre de la loi d’août 2021 pour lutter contre le séparatisme. Lors de la rencontre à l’Elysée, les rapporteurs des quatre groupes feront un point des travaux. «Le Forif est un organe de réflexion mais pas de représentation. Dans un pays démocratique comme la France, ce sont des élections qui fondent la représentativité», estime Kamel Kabtane. Le leader musulman pointe là la principale faiblesse de la nouvelle instance.

Des fonds qui manquent à l’appel

Pour le moment, le Forif n’a pas non plus ouvert le délicat dossier du financement du culte, contrairement à des promesses faites l’année dernière. Au cours des dernières décennies, les fonds disponibles dans les milieux musulmans ont été principalement orientés vers la construction de lieux de cultes. A l’avenir, les associations gérant le culte musulman vont devoir embaucher et rémunérer des imams qualifiés. En octobre 2020, lors de son discours des Mureaux (Yvelines), le président de la République, misant sur l’émergence d’un islam porté par des générations de musulmans nés en France, avait annoncé la fin du dispositif des imams détachés, c’est-à-dire envoyés et rémunérés par trois pays : le Maroc, l’Algérie et la Turquie, ce qui concerne au total environ 300 cadres religieux.

La politique d’Emmanuel Macron à l’égard de l’islam repose sur deux priorités : la lutte contre le séparatisme et l’islam radical et l’émergence de ce qu’il appelle un «islam des Lumières». Mais là aussi, les fonds manquent à l’appel. Aux Mureaux, le Président avait promis 10 millions d’euros pour financer les actions de la Fondation de l’islam de France (FIF) dont le rôle est de favoriser la connaissance culturelle de la religion musulmane. Selon son président, Ghaleb Bencheikh, celle-ci serait au bord du gouffre, et a failli mettre la clé sous la porte l’été dernier. Sur les 10 millions promis, l’institution n’aurait obtenu jusqu’à présent, selon Bencheikh, qu’à peine 780 000 euros.