Les pourfendeurs du port de voile islamique ont-ils raison d’en faire un sujet de combat sans cesse renouvelé ? C’est, comme souvent avec les dossiers à haute intensité polémique, une histoire de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Suspecté d’envahir l’espace public, le voile demeure une pratique minoritaire chez les femmes musulmanes qui vivent en France, d’après la vaste étude Trajectoires et Origines (TeO2) de l’Institut national d’études démographiques (Ined) sur les parcours des populations immigrées, publiée l’année dernière. 17 % des descendantes d’immigrés, âgées de 18 à 60 ans, portent le voile. Parmi celles-ci, la tranche d’âge des 25-34 ans est la plus concernée : 21 % de ces jeunes femmes se couvrent la tête. En revanche, la proportion tombe à 12 % chez celles âgées de 45 à 60 ans.
Des différences notables en fonction des pays d’origine
Concernant cette pratique religieuse, la différence est notable, selon l’étude TeO2, entre les femmes immigrées (les primo-arrivantes, installées en France en provenance de l’étranger) et les descendantes d’immigrées. Le port du voile est nettement plus répandu parmi les premières. Elles sont, en effet, 36 % à y être assidues. Contrairement aux descendantes d’immigrées, ce sont les plus jeunes qui se conforment le moins à cette pratique religieuse, 30 % chez les 18-24 ans et 29 % chez les 25-34 ans. La proportion monte à 42 % chez les 35-44 ans pour redescendre ensuite à 38 % chez les 45-60 ans.
Les différences sont également notables en fonction des pays d’origine. Ainsi 46 % des femmes immigrées en provenance de la Turquie et du Moyen-Orient portent le voile, 37 % de celles qui arrivent du Maghreb et 28 % de celles originaires de l’Afrique subsaharienne. Il est à noter que, selon l’étude de l’Ined, les femmes en couple portent plus souvent le voile. C’est le cas, pour les immigrées, de 42 % d’entre elles contre 24 % de celles qui sont célibataires. La proportion est également très forte chez les femmes musulmanes qui n’ont pas d’activité professionnelle : 56 % parmi les immigrées inactives et 39 % chez les descendantes d’immigrées.
Retour d'expérience
Cette pratique religieuse a connu une augmentation significative en dix ans, selon le comparatif qui peut être fait entre l’étude TeO1 réalisée en 2008-2009 et TeO2, menée en 2019-2020 et publiée l’année dernière. L’augmentation la plus forte concerne les femmes immigrées. En 2009, 22 % d’entre elles portaient le voile et 37 % en 2019. Selon les responsables de l’étude, ce chiffre reflète la progression de cette pratique religieuse dans les pays d’origine. L’augmentation est moins importante chez les descendantes d’immigrées mais significative, passant de 13 % à 17 %.
«Une sorte de défi face aux velléités de prohibition»
Cette progression non négligeable est de nature à alimenter les discours identitaires et ceux des tenants d’une interdiction renforcée du port du voile. Pour expliquer ce phénomène, le chercheur Patrick Simon, l’un des pilotes de l’étude TeO2, cite un effet de réaction parmi les jeunes femmes musulmanes face au débat très crispé sur la visibilité de l’islam en France, comme une sorte de défi face aux velléités de prohibition. «Le champ religieux musulman est dominé par un tropisme conservateur tandis que les discours libéraux demeurent minoritaires, estime, pour sa part, le politiste Haoues Seniguer. Chez les conservateurs, le port du voile est considéré comme obligatoire. Mais ce n’est pas tout ou rien. Même si c’est une prescription obligatoire, la femme ou la jeune femme ne doit pas interrompre pour autant ses études ou son activité professionnelle pour mettre son voile.»