Dans l’imposant bâtiment, désormais muré et envahi par la végétation, elles ont «vécu l’impensable». Devant la caméra, Raymonde raconte les sévices sexuels imposés par le religieux Gabriel Girard, instituteur à l’école primaire de Loctudy (Finistère), dans les années 60. «J’ai été violée. Combien de fois ? Je ne sais pas, j’ai tout refoulé», commente Marie-Pierre, une des innombrables autres proies du prêtre décédé depuis. Les deux femmes font partie d’un collectif de victimes de violences sexuelles dans l’Eglise catholique, le plus actif de France, suivi pendant deux ans par Bernadette Sauvaget – journaliste spécialiste des religions à Libération – et Olivier Lamour. Leur documentaire, le Prix d’une vie, diffusé ce mardi 5 décembre sur France 2, retrace avec sensibilité le parcours de six d’entre eux pour obtenir une réparation, notamment financière, auprès de l’institution religieuse.
Au fil de leurs démarches auprès des deux commissions mises en place par l’Eglise dans le sillage des révélations de la Ciase fin 2021 – qui estime à 330 000 le nombre de victimes françaises depuis les années 50 – et jusqu’à l’annonce des indemnisations, revient la question de l’impossible évaluation des préjudices subis. «Comment on estime ça ?» demande une victime désarmée devant le formulaire froid l’invitant à mesurer, sur une échelle de 1 à 7, l’impact des violences vécues dans l’enfance sur chacun des aspects de sa vie, afin de calculer le montant de la compensation. Tous témoignent des répercussions dévastatrices sur leurs existences – les difficultés à conserver un travail, à nouer une relation amoureuse, à communiquer avec leurs enfants –, une marque indélébile face à laquelle les quelques milliers d’euros versés par l’Eglise semblent bien dérisoires. Tout autant que la reconnaissance tardive de l’institution religieuse, la solidarité créée au sein du collectif semble apporter à ces «survivants», comme ils se définissent, une forme d’apaisement.