Les consultations et les prises de contact ont déjà discrètement commencé. Annoncé le 6 mai par le ministère de l’Intérieur, un rapport sur l’islam politique et la mouvance des Frères musulmans a été confié aux deux hauts fonctionnaires Pascal Courtade, préfet délégué à l’égalité des chances dans les Yvelines, et François Gouyette, ancien ambassadeur (entre autres) en Arabie saoudite et en Algérie. Ils devront rendre leur copie à l’automne.
Dans le petit milieu des spécialistes de l’islam de France, ces deux nominations apparaissent comme un gage de sérieux. De fait, Courtade et Gouyette connaissent leur affaire. Et se complètent. Le premier a notamment exercé les fonctions de chef du bureau des cultes au ministère de l’Intérieur, le service chargé des relations avec les religions. A ce poste, il s’est colleté le difficile dossier de la structuration de l’islam de France. Et a laissé de bons souvenirs. «Courtade a été à l’écoute du terrain», remarque un expert de la question. Quant à François Gouyette, connu pour être arabisant, il a accompli sa carrière de diplomate dans plusieurs pays arabes. «C’est un intransigeant à l’égard de l’islam politique», pointe un spécialiste de ces questions. A eux deux, les hauts fonctionnaires ont une expérience hexagonale et internationale, indispensables pour aborder ce sujet hautement polémique et inflammable.
Activisme antifrériste
Reste à comprendre pourquoi le gouvernement a décidé de commander ce rapport. Depuis trois ans et demi et le discours prononcé par le chef de l’Etat aux Mureaux, la lutte contre le séparatisme est devenu un impératif catégorique de la politique gouvernementale. Avec son corollaire, la lutte contre l’islam politique. Au ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin a déjà porté de très lourds coups en faisant dissoudre le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), renvoyer (après moult péripéties) le prédicateur Hassan Iquioussen au Maroc, en contraignant à la suite de nombreuses tracasseries administratives le théologien Ahmed Jaballah, figure de la mouvance frériste hexagonale, à retourner s’installer en Tunisie, en provoquant la quasi-asphyxie de l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon (Nièvre), centre de formation qui constitue l’un des fleurons de la mouvance des Frères musulmans en France. A ce tableau déjà impressionnant s’ajoute enfin la rupture du contrat d’association avec l’Etat du lycée Averroès de Lille.
L’activisme antifrériste de Darmanin n’est donc plus à démontrer. Et sa volonté d’en découdre avec ce qu’il qualifie d’islam politique, non plus. Jusqu’à présent, pour mener ses actions, le ministre n’a pas eu besoin de démontrer le poids et l’influence de l’islam politique en France. Quand bien même ce poids et cette influence continuent à faire débat chez de nombreux spécialistes de la question. Et que le climat actuel autour de l’islam sème un malaise grandissant dans les milieux musulmans hexagonaux.
«Inquiétude forte»
Même cornérisé et discrédité, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a récemment tiré la sonnette d’alarme sur le «flou que contiennent certains termes» utilisés notamment par le gouvernement, listant ceux-ci : islamisme, frérisme, frérosphère, entrisme… Pour le CFCM, ils participent d’une «chasse aux sorcières indigne». «Ces derniers mois, l’inquiétude est très forte dans les milieux musulmans», acquiesce, de son côté, Franck Frégosi, sociologue, spécialiste de l’islam de France. Le CFCM demande une clarification et souhaite que le rapport Courtade-Gouyette puisse y participer. Un vœu pieux ? D’après ce qu’en rapporte le JDD du 5 mai, Darmanin, lui, souhaite provoquer «un choc» dans une certaine opinion qui, selon lui, n’aurait pas pris la mesure de l’influence de l’islam politique.