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Religions

Etude sur les jeunes et la laïcité : plus de tolérance, et plus de croyance

Une enquête commandée par deux sociologues indique que les 18-30 ans ont de moins en moins de réticences à voir des signes ostensibles de religion dans l’espace public, et qu’une part croissante d’entre eux affirment croire en Dieu.
Manifestation à Rennes le 25 novembre à l'appel du collectif Nous toutes. (Emmanuelle Pays/Hans Lucas. AFP)
publié le 6 décembre 2023 à 18h04

Symbole des crispations contemporaines, la laïcité – terme qui n’est pas mentionné dans la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 contrairement à ce que l’on croit généralement – n’en finit pas de provoquer les débats. Y compris parmi les jeunes de 18 à 30 ans. Comment la conçoivent-ils ? Comment la vivent-ils ? Pour y voir clair, deux sociologues parmi les meilleurs spécialistes du catholicisme, Philippe Portier et Charles Mercier, ont fait réaliser par l’institut Kantar Public un vaste sondage, publié en amont de la journée nationale de la laïcité, le 9 décembre. Financée par le CNRS et l’université de Bordeaux, l’étude est rare par son ampleur. «Nous avons lancé un champ d’études sur ce qu’on appelle désormais l’archipélisation de la société, à savoir la difficulté à produire du commun et le choix de privilégier le repli sur des isolats culturels, des isolats générationnels», explique Philippe Portier. Interroger les jeunes sur le rapport à la laïcité est une manière, selon le sociologue, d’interroger la nature du lien social.

Laïcité instrumentalisée

Concept philosophique et juridique, la laïcité est, en fait, complexe à appréhender ; ce que montre l’étude. Ainsi, les jeunes de 18 à 30 ans en ont eux-mêmes des conceptions différentes, sans que ne se dégage de consensus. Pour 29 % d’entre eux, la laïcité a pour objectif de mettre les religions sur un pied d’égalité. Pour encore 29 % de ces jeunes, elle assure la liberté de conscience des citoyens. Selon 22 % elle consiste à séparer les religions de la sphère politique et de l’Etat et, pour 15 % d’entre eux, elle a pour rôle de faire reculer l’influence des religions dans la société. Conscients des enjeux qui se focalisent autour de ce pilier de la République, les jeunes estiment à 60 % que la laïcité est instrumentalisée par des politiques et des journalistes pour dénigrer les musulmans.

Quoi qu’il en soit, les jeunes interrogés dans le sondage ont une vision plutôt libérale de laïcité, comme l’avaient montré des études précédentes. Sur le sujet très sensible du port des signes religieux ostensibles tels que la kippa, le voile, les grandes croix, ils sont presque la majorité à ne pas y voir d’obstacle. Ainsi, 43 % y sont favorables dans les entreprises, et 24 % opposés ; 44 % estiment que cette pratique est possible pour les agents du service public contre 29 % qui ne le veulent pas. Pour ce qui est des élèves dans les lycées publics, 43 % des jeunes de 18 à 30 ans sont favorables à ce qu’ils puissent porter des signes religieux ostensibles tandis que 31 % expriment leur désaccord.

La tolérance à l’égard de cette question est un marqueur fort des nouvelles générations. Elles divergent fortement avec celles qui les précèdent, très hostiles au port des signes religieux. «Il n’y a que 20 % de la population qui a la même tolérance que les jeunes en la matière», souligne Philippe Portier. Deux paramètres, selon le chercheur, l’expliquent. «Les expériences dans leur vie quotidienne, telles que côtoyer des jeunes qui ne mangent pas de porc ou qui portent le voile, modifient des schémas doctrinaux qui pourraient être antérieurement acquis. Pour les jeunes, ces signes religieux n’équivalent pas à une sorte de préradicalisation et à une menace potentielle comme peut le percevoir une grande partie de la société», souligne-t-il. Les dernières générations ont appris également à l’école, selon le chercheur, les principes de la non-discrimination.

43 % croient en Dieu

Il n’empêche, une très large majorité de jeunes Français (68 %) estiment que la laïcité devrait évoluer en France. Mais comment ? Sur ce point, les nouvelles générations sont traversées par les mêmes interrogations que l’ensemble de la société. Pour 24 % d’entre eux, l’évolution devrait se faire vers plus de tolérance envers les expressions religieuses, et 29 % se prononcent pour davantage de fermeté ; 26 % plaident pour une meilleure collaboration entre les institutions publiques et l’Etat et 28 % réclament plus de séparation.

Ce sondage sur les jeunes Français et la laïcité vient également corroborer le constat d’un retour du religieux parmi les jeunes générations : 38 % d’entre eux déclarent se rattacher à une religion, notamment 22 % au christianisme et 12 % à l’islam. A noter que 10 % des jeunes de 18 à 30 ans ne savent pas ou ne souhaitent pas répondre à cette question. Par ailleurs, 43 % d’entre eux affirment croire en Dieu. «Cela représente 4 à 5 points au-dessus de l’ensemble de la population, remarque Philippe Portier. Ce qui est significatif pour ce genre de question.» Elle signe, selon le chercheur, l’émergence d’une «deuxième modernité» qui succéderait à la première modernité, marquée par une sécularisation continue des sociétés occidentales.